Les raisons d’une vague de fond extrémiste

Même si au deuxième tour des législatives de 2024, les Français ont écarté le danger de l’extrême droite (qui reste le premier bloc partisan en nombre de voix : 10 millions contre 8 millions pour le Nouveau front populaire), ce sursaut en forme de sursis ne nous exonère pas de réfléchir aux raisons de cette vague de fond aux portes du pouvoir.
Y aurait-il plus de 12 millions de « fachos » en France, sortis soudainement du bois ? Avec la montée inexorable de l’extrême droite (Rendez-vous dans quelques mois : l’agenda lepeniste étant surtout programmé pour l’élection présidentielle, avec une revanche parlementaire et un contrôle plus large des institutions), on se demande rarement pourquoi près de 40 % d’électeurs ont plébiscité, au premier tour des législatives, le RN et ses alliés. Se contentant de les stigmatiser (ou de courtiser ses dirigeants), la classe politique traditionnelle n’a pas tenu compte des signaux d’alerte qui clignotent dangereusement depuis au moins sept ans : Montée des frustrations, des sentiments d’injustice, d’insécurité et d’abandon, exacerbation de la peur de l’autre et de la xénophobie, multiplication des stéréotypes et propos racistes… Autant de tensions sociales et préjugés qui composent un terreau favorisant l’avènement des régimes autoritaires dans l’Histoire et qui ont été pris comme critères par le collectif interdisciplinaire des chercheurs de la Fondation du Camp des Milles (Aix-en-Provence), pour analyser l’évolution de nos sociétés, au regard de l’Histoire (voir tableau ci-dessous).
Quelles sont au fond les raisons de cette vague populiste, dont la France n’est qu’une expression, certes spectaculaire ? De façon simplifiée, elles sont de deux ordres : structurelles et conjoncturelles.
Les raisons de fond : crises structurelles de société et de nos modèles démocratiques, mutations technologiques profondes et incertitudes sur l’avenir, crise migratoire et replis identitaires qui favorisent la montée de régimes nationalistes (Hongrie, Italie, Pays-Bas, Slovaquie, Autriche…) en Europe, comme dans d’autres sociétés (cf Trump aux USA, Modi en Inde, Poutine en Russie, Erdogan en Turquie…).
C’est plus globalement une remise en question des élites, ainsi que de toute parole institutionnelle, qu’elle soit politique, médiatique, médicale, scientifique…
C’est la radicalisation des expressions et la libération des penchants les plus troubles. Phénomène qui s’est particulièrement accéléré avec l’anonymat relatif des réseaux sociaux, surtout après le Covid.
Raisons conjoncturelles en Europe et au-delà : les tensions internationales, les menaces islamistes, la guerre en Ukraine, le conflit israélo-palestinien, l’instabilité géopolitique…
Et en France.
1- La normalisation progressive du RN, qui surfe sur ces peurs, ces frustrations et s’est acheté une conduite démocratique au parlement et dans le débat public. Et qui toujours en embuscade, reste l’arbitre des pouvoirs, malgré son ostracisation parlementaire.
2- Tandis que dans le même temps, LFI qui avait mis en scène le chaos à l’assemblée nationale et multiplié les provocations dans l’espace public, campe dans une dangereuse intransigeance.
3- C’est certainement l’hyper présidence d’un Macron, droit dans ses bottes, son entêtement à faire passer en force des lois, peut-être nécessaires pour certaines, mais contre l’écrasante majorité des Français. Et aujourd’hui, de rester dans le déni du rejet dont il fait l’objet.
4- C’est la responsabilité de la classe politique tout entière, opportuniste et sectaire, enfermée dans l’obsession de son maintien et le « courtermisme » de promesses électorales qui ne pouvaient être tenues faute de leviers économiques face aux géants de la mondialisation, notamment.
5- C’est le dégagisme habituel des élites politiques avec la prime au nouveau : « On a tt essayé, après tout pourquoi pas aller voir ailleurs ? » Phénomène que l’on a observé ailleurs, y compris ces jours-ci, en Grande-Bretagne avec la chute des conservateurs, au profit des travaillistes privés de pouvoir depuis longtemps.
Un certain danger extrémiste a été provisoirement écarté. Mais alors que nous sommes dans un brouillard parlementaire épais, les vieux reflexes prétentieux et intransigeant de notre classe politique ont réémergé. Alors qu’il y a moins de sept ans, l’indicateur ci dessous des chercheurs du Camp des Milles pointait à la fin de l’étape 1 vers l’installation des régimes autoritaires, nous sommes aujourd’hui au milieu de l’étape 2, au seuil de du basculement de l’état de droit. Avec un président qui ne cesse de jouer avec le feu. Serons nous capables de tenir compte des leçons de l’Histoire, avant qu’il ne soit trop tard ?

Tableau établi avec des dizaines de critères, par un collectif interdisciplinaire de chercheurs sous la direction d’Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles, à partir de leur rapport annuel sur l’évolution vers un régime autoritaire.