Archives de catégorie : Actus

Débat Construire la paix

Alors que les fracas des armes nous arrivent en échos angoissants, comment construire la paix sans avoir peur de se défendre ?
Le pacifisme de beaucoup, notamment des chrétiens, est-il un principe non négociable, voire une utopie irresponsable ? Se réarmer, mais jusqu’où ? Un débat d’une grande actualité, que j’ai eu le plaisir d’animer le 31 mars 2025 pour St Merry hors les murs, avec les regards croisés d’experts pour réfléchir sur les enjeux géopolitiques et se questionner sur les vilences dans nos sociétés :
Marie-Claire Bruley, psychanalyste.
Etienne Godinot. Cofondateur du MAN (Mouvement pour une alternative non violente) militant des résolutions non violentes des conflits.
Joseph Maïla, universitaire franco-libanais, enseignant la géopolitique à l’ESSEC, ancien professeur à l’Université St Joseph de Beyrouth et à l’Institut catholique de Paris.
Replay du débat youtube

Peut être un dessin de texte qui dit ’Construire la paix Débat en visio 20 20h30・ lundi 31 mars 2025 avec Marie-Claire Bruley, psychologue, psychanalyste aupres de patients de tous áges Etienne Godinot, militant de la résolution non-violente des conflits Joseph Maïla, professeur de géopolitique à l'ESSEC Animateur: Jean-Claude Escaffit, journaliste បេេចារើៀ lien trouver e 31 mars sur: https://saimnery-hrsle-sm.co Saint-MerryHors-les-Murs Saint-Merry Hors-les-Murs’

Tous unis contre la désinformation

C’est un étonnant paradoxe. Formidable moyen d’ouverture et de libération, la révolution numérique offre à la fois un outil d’information sur les moindres recoins de la planète et un instrument d’enfermement et d’asservissement au service d’autocrates cyniques.

La Provence16.02.2025

Dans la course à l’Intelligence artificielle, certaines performances sont terrifiantes. A partir d’une voix et d’un visage remasterisés, on peut faire dire n’importe quoi à un personnage public, pour nuire à sa réputation ou manipuler une élection. Comme récemment dans plusieurs pays d’Europe centrale. Outre les campagnes de désinformation de la Russie et de la Chine sur tous les continents, nous assistons à la banalisation du mensonge, renforcée par la dérégulation des réseaux sociaux. Aux Etats-Unis, Musk sur X et Zuckerberg sur Facebook viennent de se débarrasser des moyens de modération contre les fake news et la haine en ligne. Partout dans le monde, des milliers de fausses images, d’insultes et de menaces circulent sans aucune sanction.

Cette révolution technologique nous fait basculer vers un monde qui modifie notre rapport à la vérité.

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Téléguidés par les algorithmes, les réseaux sociaux (Facebook, X, Tik Tok… ) cultivent des communautés d’internautes addicts qui fréquentent les mêmes sources et se renforcent dans leurs croyances. Or, ces réseaux deviennent un moyen privilégié d’information pour une majorité de Français, particulièrement pour 75% des moins de 30 ans. Selon le Baromètre des Médias 2025 La Croix-Vérian-La Poste, 62 % des sondés « se méfient de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité » et 70 % font « confiance à leurs proches pour les informer ».
Ce n’est pas seulement notre accès à l’information qui est bouleversé, mais aussi sa production. Si chacun peut être témoin n’importe où d’un événement et le diffuser instantanément avec son smartphone, à quoi servent alors les journalistes ? Avec la fin du monopole des médias professionnels, la presse connait une mutation et une crise de confiance sans précédent. A l’instar des institutions politiques, scientifiques, médicales, économiques, scolaires… Au nom d’un esprit critique que les complotistes ne s’appliquent pas à eux-mêmes, cette défiance systématique envers toute parole institutionnelle peut conduire à d’extravagantes théories. Jusqu’à croire « possible que la Terre n’est pas ronde, comme on nous l’a dit à l’école ». Au 21e siècle en France, 9% de « platistes », 16% de jeunes (sondages Ifop 2018 et 2022) ; un chiffre en constante progression !

La bataille de l’information nous concerne tous. D’abord nous, citoyens. La désinformation commence par le choix de sources douteuses qui nous enferment dans nos certitudes. Elle concerne bien sûr aussi la presse qui doit être plus vigilante dans la vérification de ses infos. C’est son ADN et un défi qui occupe une part grandissante de son activité face à des techniques de tromperies sophistiquées. Les journalistes ne sont pas exempts d’erreurs. Mais, à la différence des réseaux sociaux, ils doivent faire des rectificatifs, rendre des comptes à leur public, voire à la Justice.
La presse écrite a des atouts pour aider à discerner, prendre du recul sur les événements. Mais elle doit restaurer la confiance, en expliquant davantage son travail : une demande croissante pour 44 % des Français (baromètre des Médias 2025). En cultivant aussi ses fondamentaux : le décryptage d’une actualité complexe, des enquêtes d’investigation, des reportages et service de proximité, une interactivité plus développée… L’existence d’une presse florissante, pluraliste conditionne en grande partie l’issue du combat contre la désinformation.
Un sacré défi pour nos démocraties !

Pourquoi le pape à Ajaccio plutôt qu’à Paris

Les choix des voyages de François sont révélateurs de son style de gouvernance de l’Eglise .

 Un pape en Corse, c’est inédit dans l’histoire de l’île. Et… inattendu. Surtout une semaine après l’événement planétaire de la cathédrale Notre-Dame renaissant de ses cendres, qu’il a semblé bouder. François clôture ce dimanche à Ajaccio un colloque sur la piété populaire et y célèbrera une messe. La seule en France, après le stade-vélodrome de Marseille, en septembre 2023 : « A jamais les premiers ! ».

Paris ne vaut elle pas une messe ?

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Le pape donnerait donc tort à ce protestant de Navarre, Henri IV, qui a embrassé la cause papiste pour accéder au trône de France. Un camouflet dans le Landerneau catho, ainsi qu’à l’Elysée. Les évêques de France tenteront bien d’expliquer que François ne voulait pas voler la vedette à Notre-Dame. Il n’empêche… Paris ne vaut plus une messe. Sans oublier le souvenir cuisant d’un Pie VII otage, contraint d’y bénir le couronnement d’un Corse, auto-proclamé empereur des Français !

Plus sérieusement, l’évêque de Rome bouderait-il la capitale de la France et cette « fille ainée de l’Eglise », déclassée et ingrate, mais qui l’attend depuis si longtemps ? Car les seules fois où le souverain pontife a mis les pieds sur notre sol (au Parlement européen de Strasbourg en 2014 et à Marseille en 2023), il a averti : « Je ne viens pas en France ». Justification maladroite, mais mal comprise. Car elle signifiait qu’il ne faisait pas de visite d’Etat. Etrangement, le guide spirituel d’un milliard et demi de catholiques est aussi le chef de l’état le plus minuscule du monde. Plus petit qu’un arrondissement marseillais ! C’est donc ce chef d’Etat, ayant droit aux mêmes égards qu’un président des Etats-Unis, qui fuit les honneurs. Comme les comportements de cour qu’il dénonce à Rome ou ailleurs. C’est pour cette raison aussi que François n’a pas fait le cadeau de sa présence à un Macron en quête de reconnaissance. Le président français, avec qui il entretient des relations aussi suspicieuses que chaleureuses, s’est consolé le 7 décembre, avec l’invitation à Paris d’une cinquantaine de chefs d’Etat.
Un choix pas si étonnant...
Pas si étonnant pourtant le choix incompris d’Ajaccio au détriment de Paris. Car les voyages du pape François sont révélateurs de son style de gouvernance de l’Eglise. Plus décentralisée, celle-ci s’est manifestée par un synode à Rome, à l’automne dernier. Des choix qui s’expriment aussi par son souci de rejoindre les personnes et les peuples à la périphérie de notre monde et de notre société. « Je poursuis mes voyages dans des pays où l’Eglise n’est pas très importante ou en difficulté », rappelle-t-il souvent. Pas vraiment la situation corse, qui compte près de 80 % de fidèles ancrés dans des traditions ancestrales. Cette Ile de Méditerranée rejoint cependant la préoccupation papale envers la foi populaire, thème de son encyclique Dilexit nos, d’octobre dernier. Ainsi que sa compassion pour cette « mer-cimetière » de migrants. Les choix du pape dans ses promotions cardinalices ne répondent pas non plus aux critères classiques de l’Eglise. Ainsi, avec la création de 21 cardinaux, le 7 décembre, a-t-il préféré des prélats d’Asie, d’Iran et d’Algérie (Mgr Jean-Paul Vesco), pasteurs de quelques centaines de fidèles, à des archevêques d’Occident chrétien ou à des sièges historiques comme Paris et Lyon, toujours privés d’électeurs pour un prochain conclave. Une question de rééquilibrage vers le Sud et de feeling avec des personnalités qui lui sont proches… Et qu’il aime visiter. Comme le cardinal Aveline à Marseille, promu en 2022 et le jeune évêque d’Ajaccio, François Bustillo, en 2023. Quant à ce nouveau cardinal de 56 ans qui arpente son diocèse insulaire avec sa bure de franciscain et son style non conformiste, il a su être convaincant au Vatican !

Les raisons d’une vague de fond extrémiste

Même si au deuxième tour des législatives de 2024, les Français ont écarté le danger de l’extrême droite (qui reste le premier bloc partisan en nombre de voix : 10 millions contre 8 millions pour le Nouveau front populaire), ce sursaut en forme de sursis ne nous exonère pas de réfléchir aux raisons de cette vague de fond aux portes du pouvoir.
Y aurait-il plus de 12 millions de « fachos » en France, sortis soudainement du bois ? Avec la montée inexorable de l’extrême droite (Rendez-vous dans quelques mois : l’agenda lepeniste étant surtout programmé pour l’élection présidentielle, avec une revanche parlementaire et un contrôle plus large des institutions), on se demande rarement pourquoi près de 40 % d’électeurs ont plébiscité, au premier tour des législatives, le RN et ses alliés. Se contentant de les stigmatiser (ou de courtiser ses dirigeants), la classe politique traditionnelle n’a pas tenu compte des signaux d’alerte qui clignotent dangereusement depuis au moins sept ans : Montée des frustrations, des sentiments d’injustice, d’insécurité et d’abandon, exacerbation de la peur de l’autre et de la xénophobie, multiplication des stéréotypes et propos racistes… Autant de tensions sociales et préjugés qui composent un terreau favorisant l’avènement des régimes autoritaires dans l’Histoire et qui ont été pris comme critères par le collectif interdisciplinaire des chercheurs de la Fondation du Camp des Milles (Aix-en-Provence), pour analyser l’évolution de nos sociétés, au regard de l’Histoire (voir tableau ci-dessous).
Quelles sont au fond les raisons de cette vague populiste, dont la France n’est qu’une expression, certes spectaculaire ? De façon simplifiée, elles sont de deux ordres : structurelles et conjoncturelles.
Les raisons de fond : crises structurelles de société et de nos modèles démocratiques, mutations technologiques profondes et incertitudes sur l’avenir, crise migratoire et replis identitaires qui favorisent la montée de régimes nationalistes (Hongrie, Italie, Pays-Bas, Slovaquie, Autriche…) en Europe, comme dans d’autres sociétés (cf Trump aux USA, Modi en Inde, Poutine en Russie, Erdogan en Turquie…).
C’est plus globalement une remise en question des élites, ainsi que de toute parole institutionnelle, qu’elle soit politique, médiatique, médicale, scientifique…
C’est la radicalisation des expressions et la libération des penchants les plus troubles. Phénomène qui s’est particulièrement accéléré avec l’anonymat relatif des réseaux sociaux, surtout après le Covid.
Raisons conjoncturelles en Europe et au-delà : les tensions internationales, les menaces islamistes, la guerre en Ukraine, le conflit israélo-palestinien, l’instabilité géopolitique…
Et en France.
1- La normalisation progressive du RN, qui surfe sur ces peurs, ces frustrations et s’est acheté une conduite démocratique au parlement et dans le débat public. Et qui toujours en embuscade, reste l’arbitre des pouvoirs, malgré son ostracisation parlementaire.
2- Tandis que dans le même temps, LFI qui avait mis en scène le chaos à l’assemblée nationale et multiplié les provocations dans l’espace public, campe dans une dangereuse intransigeance.
3- C’est certainement l’hyper présidence d’un Macron, droit dans ses bottes, son entêtement à faire passer en force des lois, peut-être nécessaires pour certaines, mais contre l’écrasante majorité des Français. Et aujourd’hui, de rester dans le déni du rejet dont il fait l’objet.
4- C’est la responsabilité de la classe politique tout entière, opportuniste et sectaire, enfermée dans l’obsession de son maintien et le « courtermisme » de promesses électorales qui ne pouvaient être tenues faute de leviers économiques face aux géants de la mondialisation, notamment.
5- C’est le dégagisme habituel des élites politiques avec la prime au nouveau : « On a tt essayé, après tout pourquoi pas aller voir ailleurs ? » Phénomène que l’on a observé ailleurs, y compris ces jours-ci, en Grande-Bretagne avec la chute des conservateurs, au profit des travaillistes privés de pouvoir depuis longtemps.
Un certain danger extrémiste a été provisoirement écarté. Mais alors que nous sommes dans un brouillard parlementaire épais, les vieux reflexes prétentieux et intransigeant de notre classe politique ont réémergé. Alors qu’il y a moins de sept ans, l’indicateur ci dessous des chercheurs du Camp des Milles pointait à la fin de l’étape 1 vers l’installation des régimes autoritaires, nous sommes aujourd’hui au milieu de l’étape 2, au seuil de du basculement de l’état de droit. Avec un président qui ne cesse de jouer avec le feu. Serons nous capables de tenir compte des leçons de l’Histoire, avant qu’il ne soit trop tard ?

Tableau établi avec des dizaines de critères, par un collectif interdisciplinaire de chercheurs sous la direction d’Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles, à partir de leur rapport annuel sur l’évolution vers un régime autoritaire.

Le dernier combat de Badinter

Robert Badinter est mort. L’inlassable avocat des droits humains, que j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois chez lui, aura perdu le dernier combat de sa vie.
Voici, en hommage, ci-dessous et photo, un extrait d’une des dernières grandes interview de cet humaniste passionné de justice
:
« Assurément, le combat contre la peine de mort a été le combat de ma vie. J’étais abolitionniste avant l’affaire Bontemps (le dernier exécuté NDLR), mais ce n’était pas la cause qui me mobilisait le plus. Il a fallu que l’on me sollicite pour défendre cet homme qui n’avait d’ailleurs jamais tué, il a fallu qu’il y ait sa condamnation à mort, pour que je devienne un militant abolitionniste passionné. (…)
– Qu’est ce qui fonde selon vous cette défense de la vie ?
– C’est le premier des droits de l’être humain. Aucune société, aucune justice n’a le droit de prendre la vie d’un homme. De toute manière, nous sommes tous condamnés. Il suffit d’attendre. (…)
– Quelle a été votre plus grande fierté dans la vie ?
– Avoir vu triompher la cause de l’abolition en France.
– Votre plus grand regret ?
– Ne pas avoir pu sauver Bontemps. »
(JC Escaffit, La Vie 7. 09. 2000).

(La Vie 7. 09. 2000)

L’information et les médias au défi des réseaux sociaux.

Texte Conférence de Jean-Claude Escaffit, ancien médiateur de la rédaction de La Vie.

Un mot sur le médiateur de presse : cette espèce rare en voie de disparition n’existe pratiquement que dans l’audiovisuel public (Radio-France, France télévisions). C’est fini dans le le groupe Le Monde auquel la Vie appartient. Avocat des lecteurs auprès de la rédaction , mais aussi de la rédac auprès des lecteurs. S’il explique les contraintes du métier au public, il donne des avis en principe indépendants et parfois critiques sur le travail de son journal, y compris dans des billets publiés sous sa seule responsabilité. Position inconfortable vis à vis des collègues et de son propre employeur dont il reste salarié. Responsable de la relation lecteurs et du forum des lecteurs (je répondais jusqu’à à 300 lettres par semaine, dont des critiques cependant minoritaires) ; cette expérience passionnante a permis aussi un regard distancé sur le métier d’informer.

On a pu voir au début des années 2000 comment la révolution internet a bouleversé les pratiques journalistiques mais aussi notre manière de nous informer, nous citoyens. Les réseaux sociaux sont un défi de taille pour l’information. Comment le relever ?
Exposé en trois parties :
1) Impact des mutations  techniques sur les médias. 2) Risques des réseaux sociaux  sur la fiabilité de l’info. 3) Débusquer les  fake news.
Conclusion : A quelles conditions relever les défis médiatiques face à la révolution numérique

I Mutations techniques et évolution médiatiques

1 L’histoire de la presse s’est toujours construite au rythme des diverses mutations techniques. Chaque nouvelle découverte a fait chaque fois émerger de nouveaux médias, mais en bousculant ceux déjà en place.
Petit retour dans le rétroviseur. Je vous propose de revisiter très rapidement les grandes mutations de la presse : Sans remonter à l’invention de l’imprimerie de Gutenberg au 15e siècle (1454), qui a permis  la diffusion de l’écrit, avec des livres jusqu’à l’arrivée en France de la première gazette en 1651, fondée par Théophraste Renaudot. (Celui du prix créé en 1926, par des journalistes pour lui rendre hommage et pour concurrencer le Goncourt ).

 En fait, c’est vers la fin du 19e siècle avec la révolution industrielle que les journaux d’information naissent véritablement (dates clé : 1881 la loi sur la liberté de la presse, puis un an plus tard, celle sur l’école obligatoire de Jules Ferry). A cette époque, création Figaro, l’Aurore, La Croix, AFP. Période faste : Début 20e siècle, 600 titres en France dont 80 à Paris (quatre avec un tirage de plus d’un million d’exemplaires).
 La presse écrite connaitra un monopole florissant durant plus d’un demi siècle, jusque dans les années 1930, lorsqu’elle sera concurrencée par la radio (en France, premier émetteur sur la Tour Effel date de1921). C’est un média plus souple et rapide, mais totalement sous contrôle de l’Etat. D’où aussi une guerre des ondes, notamment durant l’occupation de l’Europe par l’Allemagne nazie.
Après guerre, alors que journaux écrits et radio se partagent l’espace médiatique, va émerger au cours des années 50 un média qui va révolutionner l’accès à la culture, aux loisirs et à l’information :  la télévision.  Au point de prendre la première place vers la fin des années 60 et de s’interroger sur la survie de la presse écrite. Si celle-ci va énormément régresser, elle ne va pas disparaitre pour autant. Les trois grands acteurs médiatiques vont se partager l’espace avec des sortes de spécialisations implicites .
Même si ça fait un peu clichés, on s’accorde à dire que la radio informe, la télévision montre (aujourd’hui importance du témoignage par les images,  de guerre, de tragédies), quant à la presse écrite, elle commente et explique. A travers ces spécificités, se dessinait  une forme d’équilibre complémentaire.  
Sauf qu’à la fin du 20e siècle une révolution énorme va bousculer tout cet équilibre : non seulement notre rapport à l’information, mais aussi tous nos modes de communication. La révolution Internet, une mutation du même ordre que la révolution de l’imprimerie à la Renaissance. Sans doute plus encore…
– L’émergence du numérique bouleverse le paysage médiatique de deux manières : l’accès à l’information mais aussi la production d’information à la portée de tous.
2 – L’accès de tous à l’information par les réseaux sociaux
On dénombre aujourd’hui des milliards d’utilisateurs des réseaux sociaux dans le monde (Facebook, twitter, Linkedln, Instagram, Tik-Tok, Messenger et newsletter et forum de sites).
Finie la Grand messe TV du 20h, suivie par une écrasante majorité de la population ou l’écoute des infos à la radio le matin. Surtout pour les plus jeunes. On est à l’heure du snacking de l’information à la demande, en “picorant” sur YouTube, Instagram et Facebook. Et dans ce rapport à l’information, via les réseaux sociaux, on observe une rupture générationnelle autour de 35-40 ans :
Si  les plus de 35-40 ans  s’informent encore majoritairement via la télévision (50%) puis par internet (25%) et la radio (17%).  Chez les moins de 35 ans la tendance est inversée. Et plus le public est jeune, plus la tendance de l’internet majoritaire est marquée : Pourcentage chez les 18-24 ans qui accèdent à l’information, d’abord par internet : 75%, la TV tombe à 18% . A mettre au regard d’un autre chiffre : 70 % des 18-24 ans se sont abstenus aux législatives de 2022. En se gardant de faire des liens de causalité, on ne peut que s’interroger sur cette crise concomitante des diverses institutions.
Ce n’est  pas seulement les habitudes de consommation de l’info qui ont changé depuis une quinzaine d’années, c’est aussi sa production. Finie l’information descendante et le monopole journalistique. A partir du moment où tout le monde peut être témoin d’un événement, n’importe où, n’importe quand, filmer, photographier avec son Smartphone et a les moyens techniques de les diffuser avant l’arrivée des reporters et envoyés spéciaux, à quoi servent alors les journalistes ?
 
Ce changement est un vrai défi pour la presse. Avec une question récurrente que nous nous sommes posés au début dès les années 2000. A  partir du moment où tout le monde peut faire du  journalisme, est-ce la fin des journalistes professionnels ? Multiples revues et colloques sur l’avenir de la presse. Cela a permis aussi de redéfinir la raison d’être de ce métier.

II Les risques de la révolution numérique pour l’information

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Nouvelles technologies offrent de formidables possibilités et de nouveaux horizons. Mais posent de sérieuses questions. Celle des informations non vérifiées, voire erronées, avec les fameuses fake news.
On peut distinguer :
– Fake news ; 
 information mensongère produite de manière délibérée. Outil de propagande de lobbys puissants, voire d’Etats et régimes autoritaires (cf  Poutine, campagnes électorales ou des conflits stratégiques).
– Informations erronées, reprises de bonne foi. Soit des témoignages indirects déformés, soit des rumeurs colportées dont les sources mal définies. Cela a toujours existé (sur origines des maladies ou encore la rumeur d’Orléans), mais les rumeurs connaissent aujourd’hui une propagation exponentielle.  
Exemple d’info erronée ou de rumeur : l’ouragan Irma. Le 6 septembre 2017,  Irma, balayait le nord des Petites Antilles, notamment les îles françaises de Saint-Barthélemy et Saint-Marin, Bilan officiel 12 morts. Déchainement des réseaux sociaux sur le mode « On nous cache des morts ». Des centaines de milliers d’internautes persuadés que le bilan à St Martin était largement sous estimé : chiffres qui ont circulé : plusieurs centaines de victimes voire des milliers.  Par ex, une certaine Rebecca, une Provençale affirmait sur Facebook être en lien constant avec sa famille. Qu’ils avaient vu des cadavres charriés par dizaines. Sa vidéo postée a été vue… 4 millions de fois !
Contre-enquête journalistique ; Le Monde (envoyé spécial dans hôpitaux +  Service Décodeur) a enquêté et remonté l’info et les témoins soit disant directs qui se dérobent tous : « Pas moi mais quelqu’un qui m’assure avoir vu… « Il est des gens qui croient malgré les démentis et les preuves que les autorités et la presse mentent. Il faut beaucoup plus d’énergie pour rétablir une vérité que de diffuser un mensonge.
Une des causes du dévoiement : Les moteurs de recherche sur le Net.
Taper un mot clef : plusieurs milliers d’articles apparaissent dans un ordre aléatoire. Quel tri, quelle fiabilité ?
La présentation hiérarchique n’a plus rien à voir avec l’importance et l’intérêt du sujet ou la référence de la source émettrice, mais votre recherche est orientée par les algorithmes, en fonction du nombre de vos clics. Plus c’est sensationnel, plus ça fait du bruit, du  buzz, plus ça suscite de l’intérêt. Un dirigeant de Facebook a même affirmé :  « Aujourd’hui, pas important qu’une histoire soit vraie, mais plutôt qu’elle suscite de clicks ».
Donc, nos recherches sur les réseaux sociaux  peuvent nous enfermer à notre insu dans une bulle de désinformation, voire nous amener même à adhérer ou partager des théories complotistes. Selon un sondage Odoxa pour France info et Le Figaro, 30 %  des Français disent avoir relayé une info issue du complotisme (45% de ceux qui disent s’informer par les réseaux sociaux) et qui ont la lucidité de se rendre compte.
Une étude de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et l’observatoire Conspiracy Watch, publiée en janvier 2018, révèlerait même que 79% des Français ont cru à au moins une information issue du complotisme, dans une liste importante de faits erronés. Chiffre à interpréter avec prudence. Cependant les exemples sont éloquents. Je vous en cite quelques uns pêle-mêle :
– 32% des Français pensent que « le virus du sida a été créé en laboratoire et testé sur la population africaine avant de se répandre à travers le monde » (sans doute davantage si question sur la Covid !)
–  31% sont d’accord avec l’affirmation que « les groupes djihadistes comme Al-Qaïda ou Daech sont en réalité manipulés par les services secrets occidentaux« .
 Enfin, tenez-vous bien, 16% des Français pensaient en 2018 que les Américains n’ont jamais été sur la lune.  Combien croyaient « possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école » ?  9% de platistes  en France au 21 e siècle !
Les algorithmes vous offrent des propositions en fonction de vos centres d’intérêt et vos recherches et vous proposent des contenus ajustés qui peuvent peu à peu vous enfermer.
Exemple de Clément, jeune chercheur, a témoigné dans le formidable documentaire de France 5 « La fabrique du mensonge ».  Quand il était étudiant  Il  est tombé pendant deux ans dans une dangereuse spirale radicale : défenseur de  la cause  palestinienne, il a regardé les vidéos de Dieudonné qui s’est servi de cette cause pour illustrer de façon feutrée ses thèses antisémites. Ainsi les algorithmes ont proposé à Clément d’autres vidéos de + en + radicales, l’amenant à  croire à l’existence d’un complot mondial des élites. Ce qui l’a réveillé, ce ne sont pas des arguments rationnels, mais un choc émotionnel. La prise de conscience d’une véritable spirale de la haine antisémite, lui l’antiraciste.
C’est surtout la crise sanitaire qui a facilité le complotisme, à travers  l’explosion des réseaux sociaux. Il évolue avec des formes renouvelées : depuis la crise des Gilets jaunes à la guerre en Ukraine, en passant bien sûr par le Pass sanitaire et l’injonction vaccinale.  Mais s’il a diverses facettes, il contient les mêmes ingrédients de méfiance à l’égard des paroles institutionnelles. Pire,  il peut désigner des boucs émissaires, une communauté spécifique, souvent par des sous entendus à l’origine d’un complot mondial. « Qui? » contrôle la meute médiatique ? Qui dirigent le big farma, ces labos qui fabriquent ces vaccins ?  Qui dirigent la politique sanitaire ? Liste de personnalités ciblés :  les Levy, Agnès Buzin, ministre de la santé au début de la pandémie, prof  Salomon du Conseil scientifique, le banquier Rothschild…
L’antisémitisme qui restait confiné dans des cercles restreints d’extrême droite se répand grâce aux réseaux sociaux. L’influence de ces réseaux plus importante que ce que l’on croit, chacun ayant plusieurs centaines de milliers de followers. Alain Soral (Egalité et réconciliation) Samuel Gougeon jesuispartout.com et qui rappellent les années 30 (vient d’être interdit). QAnon, appelant à l’insurrection aux US, commence à toucher l’Europe.
Des intox peuvent être aussi relayées par une application chinoise, avec des intérêts stratégiques évidents, Tik-Tok, la plus prisée des moins de 25 ans (à l’origine chorégraphies d’ados) : 1 milliard de followers.
Inquiétante montée de l’antisémitisme ? Cité par France 5, un sondage Ipsos affirme que  25% des Français pensent qu’il existe un réseau juif qui influence les affaires du monde. Est-ce à dire qu’un Français sur quatre est antisémite ? Non, mais il peut être influencé par des  réseaux qui, comme le souligne Barack Obama, « amplifient  les pires instincts de l’humanité« .  

Le grand paradoxe : Internet et les réseaux sociaux, qui offrent de formidables ouvertures sur le monde et qui peuvent être un  levier puissant pour les populations, là où les médias sont muselés ou sous contrôle de régimes autoritaires (révoltes du Printemps arabe, de Hong-Kong… ), ces formidables instruments d’ouverture technologique nous ont souvent amenés à un repli dans des communautés de gens qui nous ressemblent, qui pensent comme nous. Ils nous mettent dans un entre soi qui peut nous placer sous influence. Aux USA, par ex, plus de la moitié des électeurs républicains sont encore  persuadés que l’élection présidentielle a été truquée et que Trump a gagné.
  En cherchant à conforter certaines de nos opinions, de nos choix  politiques ou spirituels, les réseaux sociaux risquent de nous enfermer dans des certitudes extravagantes.
Nous pouvons tous y être confrontés, y compris dans nos milieux chrétiens.  Voici, un exemple vécu :  Un membre de notre paroisse affirmait que le pape François aurait baisé la main du banquier David Rockfeller. « Preuve qu’il  serait bien sous influence d’un complot mondialiste ourdi par les juifs et les Francs-maçons« .  C’est évidemment faux. Et je vous expliquerai dans un prochaine partie pourquoi et comment on s’y est pris pour vérifier.

Les complotistes mettent en avant leur esprit critique. Parfait. Le doute est une méthode saine, enseignée dans les écoles de journalisme et en principe dans les cours de philo, au lycée. Mais à partir du moment où cette méthode repose sur un dogme anti-élites, anti-institutions, qui ne peut pas du tout être remis en question, cette grille de lecture s’enferme dans une forme de cécité :  « Je suis certain qu’on nous trompe, qu’on est manipulé par la presse, le gouvernement, les élites politiques, médicales, économiques, qui sont en plus tous de connivence… »  A partir de ce postulat dogmatique jamais mis en doute, on peut développer tous les sophismes. Et du moment où ces infos émanent d’une même communauté de pensée, de gens qui se renforcent mutuellement en circuit fermé, elles deviennent intouchables. Certains complotistes pensent même faire partie d’un petit groupe d’élus, initiés à une vérité cachée et se sentent investis de la mission de nous la révéler.
Les psycho-sociologues disent que nous sommes rentrés dans l’ère de la post vérité. La vérité devient une opinion subjective. Après tout, chacun a la sienne.

III Débusquer informations erronées et fake news ?
D’abord il s’agit d’identifier la source de cette information : qui en est à l’origine ? Ensuite croiser les diverses sources, en cherchant si possible les plus fiables. Et enfin tenter de déterminer où se situe le dévoiement de l’information.
1- Identifier la source : Chaque fois que je tombe sur une info suspecte, je vais voir d’abord de qui elle émane. Si elle a été envoyée sans signature ou origine, on peut recopier la citation et la mettre sur un moteur de recherche  (Google ou Lilo moteur associatif indépendant des Gafa). Aujourd’hui c’est beaucoup plus facile. Le moteur de recherche peut vous renvoyer alors sur le site émetteur de cette intox, voire vous livrer des preuves de la manipulation par des médias qui ont enquêté.
Revenons sur la révélation du  » pape baisant la main d’un banquier juif »?  Avec les moteurs de recherche, on tombe très vite sur un démenti de L’Agence France Presse qui a publié l’originale de cette photo.  Cette agence de presse mondialement connue  nous révèle qu’elle a été totalement détournée de son sens sur les réseaux sociaux. Le démenti vient à la fois  du photographe qui en est l’auteur et de l’agence de presse qui republie alors la légende d’origine : le  personnage dont  le pape baise la main  n’est pas David Rockfeller mais un survivant de l’holocauste lors de la visite de François au mémorial Yad Vashem à Jérusalem ! Infox qui émane de sites antisémites repris par certains groupes intégristes catholiques.

Alors, quand vous tapez un mot clé pour une information d’actualité ou pour  une recherche générale, comment en vérifier la fiabilité ? Il peut y avoir alors des dizaines de propositions qui s’affichent dans un ordre très aléatoire. Personnellement je recherche la source censée être la plus sérieuse (universitaire, institutionnelle ou à l’origine de cette info). Et je la recoupe, la compare  avec plusieurs autres sources. C’est une méthode journalistique classique de vérification des informations.
Ou encore je vais sur les sites de journaux auxquels je suis abonné : La Croix, Le Monde, La Provence. Cela ne signifie pas qu’ils sont irréprochables. Tout journal livre une info située par le choix de ses sujets, leur présentation et bien sûr les commentaires. Mais un fait reste indiscutable. Et si l’info sur ce fait est erronée, elle doit faire l’objet d’un rectificatif ou d’un droit de réponse. A la différence des réseaux sociaux, la presse doit rendre des comptes, y compris parfois à la Justice.

Quelles sont  les sources des journalistes ? Important de les énumérer pour  comprendre le travail de la presse. Sources de six ordres :
– 1 Les agences de presse (AFP, AP, Reuter…)qui ont des correspondants dans le monde entier. La plupart des grands journaux y sont abonnés.
– 2 Les sources institutionnelles (ministères, partis, Eglises, services publics, fédérations sportives, entreprises… ). Communiqués, conf de presse, téléphone, déjeuners…
– 3 les contacts personnels: Pour les rubricards po, éco, sciences. (informateurs locaux, spécialistes, universitaires ou praticiens, lecteurs… ) aident à l’analyse.
– 4 L’enquête terrain, l’investigation approfondie (un luxe de médias qui ont les moyens, remis cependant au goût du jour)
-5 La Documentation du journal (journaux, revues, et agenda prévisionnel). Importance accrue de l’anticipation.
– 6 Internet et les réseaux sociaux (Twiter, moteurs de recherche… ).
Tous les  journalistes utilisent aujourd’hui  Google ou autres moteurs de recherche dans leur travail (- de 50% en 2005)Précipitation parfois dommageable. Accélération de la concurrence de l’information aura aussi un impact sur les rédactions prises par le temps et la multiplicité des sources, des concurrences.  Médias audiovisuels les plus touchés, surtout les médias d’info continue pris par l’immédiateté et des concurrences féroces. Cela génère aussi des ratés dans l’information et propagation de fausses nouvelles, qui peuvent être démenties à l’antenne dix minutes plus tard. Mais trop tard, une fois partie dans la nature et dans les réseaux sociaux.

En somme, comment vérifier une information ? Pour résumer,
1) Identifier la source de cette information et qui en est à l’origine.
2) croiser les diverses sources, en cherchant si possible les plus fiables.

3) tenter de déterminer où se situe le dévoiement de l’information. Car la plupart du temps, dans une  rumeur ou une info intox, il y a au départ une bribe de vérité, fût elle infime. 
Un exemple : il émane d’un mail d’un de mes cousins, officier en retraite, m’interrogeant sur une soit disant « révélation  » où il est affirmé que Le Drian, (alors ministre des armées),  « est lié à la politique de soutien aux djihadistes en Syrie aux côtés des services de renseignement saoudiens ».
J’ai finalement pu, faute de l’avoir trouvé d’emblée dans les moteurs de recherche, identifier l’origine à force de recoupements : cette info émanerait d’un groupe d’extrême droite de Bretagne, où Yves Le Drian était justement candidat à une élection. Ensuite j’ai relié cette accusation avec d’autres accusations récurrentes et sous jacentes dans le mail reçu, et qui elles sont exactes.
On sait effectivement que la France vend des armes à l’Arabie Saoudite (qui s’en sert pour des causes pour le moins douteuses  : au Yémen en ce moment).  On sait que le régime saoudien veut faire tomber Bachar el-Assad, qui est soutenu par l’Iran, son grand adversaire chiite. L’Arabie saoudite  a sans doute livré des armes françaises à des gens de Daech en Syrie. Du moins au début. Mais de là, à considérer qu’un ministre français a soutenu en secret les djihadistes en Syrie, c’est un raccourci pour le moins osé. C’est l’exemple même d’un fait connu  et dévoyé pour être instrumentalisé.

Pour aller vers la conclusion,  en revenant à notre interrogation du début : la presse peut-elle relever le défi de la révolution numérique ? Le journalisme a t-il un avenir ?
Oui, à deux conditions ou plutôt deux séries de conditions : savoir s’adapter aux nouvelles cultures et restaurer la confiance du public avec un nécessaire retour aux fondamentaux du métier.  Et la survie d’une presse libre et pluraliste est vitale pour la persistance d’une démocratie.
1ères  Conditions : intégrer ces nouvelles technologies. Si la presse papier semble condamnée, ce n’est pas le cas de l’écrit. Elle propose des abonnements numériques (Le Monde, 500 000 abonnés web, bcp plus que les lecteurs papier), elle cherche à  s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation de l’info, en envoyant des alertes d’actu en temps réel, en offrant des articles en kit. Rédactions ont désormais des service web. Les journalistes ramènent du son, de l’image, envoient des tweet pendant des conférences de presse ou l’événement dont ils sont témoins. Polyvalence écrit, son, image. On appelle cela le mix-médias.  
Idem pour Presse audiovisuelle et notre radio RCF en particulier, ont su aussi s’adapter en jouant leur propre partition, en proposant  émissions à la demande avec ses podcasts permettant d’écouter quand on veut, en envoyant des newsletters régulières. Avec le DAB+ (digital audio broadcasting), successeur  numérique de la FM.
 A condition aussi de développer l’interactivité avec son public, en suscitant des débats intelligents et posés, qui ouvrent à la réflexion, plutôt qu’aux réflexes et invectives qui sévissent trop sur Facebook.
Deuxième condition et pas des moindres : la presse a un avenir si elle est capable de rétablir la confiance, en revenant notamment à ses fondamentaux. Selon le Baromètre annuel La Croix-Kantar, jamais la confiance envers les médias n’a été aussi faible qu’en 2022 : tous récoltent moins de 50% des Français, même radio (49% – 3) à égalité avec presse écrite (49), TV (44). La crédibilité de la presse s’est beaucoup érodée (comme d’ailleurs les paroles publiques). Mais  la confiance la plus basse : 24 % pour… les réseaux sociaux qui restent pourtant le média le plus utilisé !
 La restauration de la confiance passe  par l’éducation aux médias (école)  montrant le rôle irremplaçable de la presse, mais apprenant aussi un regard critique.
Et la confiance passe aussi par un retour aux fondamentaux d’une presse de qualité.
Voici six conditions :
– 1 Vérification des sources : C’est son ADN. Mais aussi capable de contrer et démonter les rumeurs. Tous les grands médias ont des cellules de décodage  des rumeurs, d’investigation. Le décodeur (Le Monde),  Désintox (Arte), Le vrai du faux (France info)…
– 2 Hiérarchie des informations : Toutes ne sont pas d’égales importances. Les présenter avec clarté et pédagogie.
– 3 Retour sur le terrain : le reportage reprend ses lettres de noblesse,  Le témoignage reste capital.  Cf guerre en Ukraine où des journalistes risquent leur vie pour témoigner des tragédies, voire des crimes de guerre (en se méfiant des manipulations. Car des deux côtés se jouent une guerre de communication).
Rôle accru de l’investigation, de l’enquête. Un luxe de journaux, aujourd’hui (Panama, Paradise paper, 6 mois d’enquête mutualisée ds le monde). Développer des sujets originaux, des angles inédits, alors que la presse avait tendance ces derniers temps à être assez conformiste, à se copier beaucoup.
–  5 Développer son rôle d’explication de mise en perspective. Donner des clés de lecture et de décryptage d’un monde de plus en plus complexe et rapide.
En 2008 J’avais invité Edgar Morin, (qui aura 101 ans en juillet prochain !), devant les lecteurs et la rédaction en chef de La Vie, à nous livrer son regard de sociologue sur le journalisme et l’information  : « L‘information devient connaissance que si elle est contextualisée, soulignait- il selon sa méthode bien connue . Sans contextualisation une connaissance devient myope, parfois aveugle. Et d’ajouter aussi (pour nous c’est la 6e condition) :  
–  6 « Le journaliste doit être un explorateur des sous sols ».  « Souvent, explique E Morin,  un événement capital est complètement ignoré, parce qu’il se situe dans les profondeurs. Quand on a découvert dans les années 30, la structure de l’atome, ce fut un non événement, hormis pour les physiciens. Cela deviendra quelques années plus tard, un événement capital dans l’Histoire, avec la confection de la première bombe atomique et Hiroshima. Le journaliste devrait être aussi un peu plus explorateur pour aller voir ce qui  se passe dans les sous sols. »
En somme, le journalisme a un avenir s’il cultive avec humilité la recherche de la vérité, en vérifiant systématiquement ses sources, en enquêtant le plus sérieusement possible sur le terrain, en nous aidant à comprendre ce monde de plus en plus complexe. En un mot si le journaliste ne s’en tient pas à l’écume de l’actualité, mais si, en creusant inlassablement ses sujets, il est un véritable chercheur de sens !

Post Scriptum :  Deux événements  contradictoires ont balisé notre actualité ces dernières semaines  : L’Union européenne adoptait fin avril 2022  un Digital Services Act,  très contraignant obligeant les plateformes à réguler les réseaux, les obligeant à  contrer le contenu haineux, injurieux ou diffamatoire.
Le lendemain, l’annonce du rachat de Twitter par le milliardaire américain Elon Musk, dans la mouvance  libertanienne  (liberté absolu d’expression, d’injurier, de mentir, de menacer)…
Conférence dans le cadre des Amis de Dialogue RCF et en soutien à la radio, 16 juin 2022 @copyright JC Escaffit

Guerre d’Algérie : « halte au feu » mémoriel

La Provence 13.03.22
Il est des mémoires qui saignent longtemps après le silence des armes. Cela fera soixante ans, le 18 mars, que les accords d’Evian ont été signés, mettant théoriquement fin aux combats sur le sol algérien. Et pourtant, la guerre mémorielle n’est toujours pas éteinte. Mémoire éclatée chez nous, mémoire confisquée en Algérie.
A défaut d’avancer avec le régime actuel d’Alger, l’ambition du rapport Stora a été de réconcilier les mémoires antagonistes de sept millions de Français concernés (soldats appelés, pieds-noirs, harkis, enfants d’immigrés…).
 Les préconisations du rapport remis en janvier 2021au président de la République,  prennent en compte – c’est nouveau – la diversité des blessures. Il n’y a pas de bon ou mauvais côté de la souffrance. Et il n’est de devoir de mémoire sans devoir de vérité.

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Ainsi depuis un an, une quinzaine de propositions ont été mises en œuvre par le président français : reconnaissance de la torture et de l’assassinat par l’armée française de l’avocat Boumendjel, création d’une commission Mémoire et vérité et d’un musée France-Algérie à Montpellier, accès simplifié aux archives de l’armée, érection (perturbée) à Amboise d’une statue d’Abdelkader, héros de la résistance algérienne et défenseur des minorités chrétiennes en Orient. A l’automne  2021, c’est la demande de pardon envers les harkis pour les avoir abandonnés après-guerre, la reconnaissance du massacre de manifestants algériens par la police française, en octobre 1961 à Paris. Gestes forts qui se poursuivent par la reconnaissance, en janvier dernier, de la souffrance de près d’un million de rapatriés…
Vers une histoire partagée
Mesurettes démagogiques tous azimuts, railleront certains. Travail pédagogique incessant vers une Histoire partagée, rétorque l’auteur du rapport. Cette politique des petits pas et de passerelles entre des mémoires fragmentées a aussi ses limites. Comment construire un récit commun avec des anniversaires consensuels ? Le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu en Algérie ? Pas évident de célébrer l’anniversaire d’un événement qui est loin d’avoir marqué l’arrêt des violences. Le choix d’événements mémoriels est révélateur de notre rapport à l’Histoire et de notre volonté d’envisager un destin commun. Un sacré défi. Car c’est bien connu, les blessures, les rancœurs et les humiliations tapies dans les mémoires font le lit des régimes autoritaires, avec leur cortège de menaces vengeresses.