Ouest-France 07.12.20 : ma chronique avant la publication du rapport Stora, le 20 janvier 2021, sur un difficile apaisement mémoriel.
Sortir de la guerre des mémoires, en vue d’une énième tentative de « réconciliation entre les peuples français et algérien » ? C’est le sens de la mission confiée par le président Macron à Benjamin Stora, en lien avec ses collègues historiens algériens. Un rapport, assorti de préconisations précises, qui doit être rendu public prochainement. Déminage ardu, tant cette mémoire là est explosive et éclatée, de part et d’autre de la Méditerranée. En France, elle est communautarisée en fonction des parcours personnels et des appartenances idéologiques de chacun. En Algérie, la mémoire nationale est confisquée par un pouvoir qui cultive le mythe fondateur d’un peuple uni derrière le FLN.
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Namaskar, Père Laborde !
Hommage dans La Vie à celui qui a consacré la sienne aux pauvres de Calcutta et dans le bidonville de Pilkhana (« La Cité de la Joie » ), parrainé par les lecteurs de l’hebdomadaire chrétien.
C’est un message succinct reçu alors que les feux de la fête ne sont pas encore éteints dans nos foyers européens. Le jour de Noël, le Père Laborde a fait le grand passage. Le courriel émane d’Inde, de nos amis Léo et Françoise Jalais, ses fidèles compagnons. Assorti d’un avis de décès de l’archevêché de Calcutta annonçant que ce prêtre français, missionnaire du Prado s’est éteint le 25 décembre 2020 à l’âge de 93 ans. Arrivé en Inde en 1965, sa vie fut consacrée jusqu’au bout aux pauvres des bidonvilles de Calcutta, aux lépreux et jeunes handicapés du Bengale.
Eglise-Etat : des malentendus révélateurs.
6.12.2020. Dans un climat partout tendu, le torchon brûle aussi entre l’Eglise catholique et le gouvernement. Ce sont les conditions de réouverture aux cultes qui ont déclenché l’ire des évêques. La jauge de 30{6e8d2247ebfffa752cf2ddc5df7bc8ac5aedbce1d2c6f6869a0181304bfba48d} de la capacité des églises aurait été négociée entre l’épiscopat et le ministère de l’intérieur.
Mais voilà que ce pourcentage s’est transformé en… 30 places, lors de l’intervention du président. Une jauge s’appliquant indifféremment aux chapelles comme aux cathédrales, dotées parfois de 3000 places. Alors que les temples de la consommation de surfaces analogues – les grands magasins – peuvent accueillir 700 visiteurs ensemble. « Condition absurde et inapplicable « , ont plaidé les prélats devant un Conseil d’Etat qui leur a donné raison au nom de la discrimination.
Y a-t-il eu un malentendu avec le gouvernement, comme le prétendait l’Eglise qui, poussée par son aile radicale, a pourtant saisi la haute juridiction trois fois en six mois ? Malentendu révélateur en tout cas des mutations d’une société sécularisée qui relègue l’expression de la foi dans l’espace privé.
Droit de la presse :la carte se suffit à elle même.

La commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, composée de journalistes et d’éditeurs de presse en activité dans tous les secteurs, tient à rappeler, dans le contexte actuel, une évidence. La carte de presse, délivrée sur des critères légaux, se suffit à elle-même pour démontrer sa qualité de journaliste professionnel sans autre formalité de quelque sorte, accréditation notamment (c’est vrai aussi en ces périodes de confinement). La CCIJP ajoute que si cette carte d’identité, document officiel, peut être montrée par exemple à tout membre des forces de l’ordre, elle ne doit en aucun cas être remise et laissée à des personnes étrangères à celle ou celui qui la détient. Attribut du statut de journaliste, elle démontre la qualité du journaliste professionnel ; outil de travail, elle facilite son activité sur le terrain et le protège ; elle est par ailleurs un outil social qui permet au journaliste de faire valoir ses droits (dans les entreprises de presse, au chômage, etc…) tout en respectant des devoirs (chartes de déontologie) ; elle est enfin un symbole de la démocratie. La commission de la carte d’identité des journalistes professionnels. Paris le 23 novembre 2020 |
Défendre notre liberté d’expression menacée
27.09.2020. » Des médias sont ouvertement désignés comme cibles par des organisations terroristes internationales. (…) Ces cinq dernières années, des femmes et des hommes de notre pays ont été assassinés par des fanatiques, en raison de leurs origines ou de leurs opinions. «
Avant qu’un nouvel attentat ait visé des gens de presse devant l’ancien siège de Charlie Hebdo, c’est un cri d’alarme que venait de pousser près de deux cents médias français. Journaux papier ou numériques – dont La Provence – radios, télés et périodiques de toutes sensibilités ont signé ensemble une lettre ouverte. Cette initiative sans précédent voulait alerter sur l’une des valeurs des plus fondamentales de la démocratie : notre liberté d’expression. Elle est aujourd’hui menacée par le terrorisme et les réseaux sociaux. Dans un climat devenu délétère, la violence des mots se mue en cortège de morts.
Liberté de blasphémer n’est pas éloge du blasphème.
On a pu lire dans certains tweets que les journalistes de Charlie l’ont bien cherché. Mort aux blasphémateurs ! Certains rêvent, au pays des droits de l’homme, de faire payer le prix infligé par les dictatures théocratiques à ceux qui critiquent leur religion. Certes, il arrive que nos convictions de croyants soient malmenées, voire blessées. Et même si j’avoue ne pas apprécier le mauvais goût de certaines caricatures sur ma foi chrétienne, je n’ai pas hésité à proclamer “Je suis Charlie” et aller, avec tant d’autres, le manifester.
De même, en s’associant aujourd’hui à cette défense de la liberté d’expression, des journaux d’opinion comme La Croix, La Vie, Tribune juive… défendent aussi la liberté de blasphémer. Ce qui n’est nullement l’éloge du blasphème. Mais la défense d’une liberté indivisible, avec son corollaire de responsabilité. Car si chez nous le blasphème n’est pas puni par la loi, les mises en cause personnelles peuvent générer un droit de réponse ou conduire au tribunal.
En France, personne n’est obligé de lire ou d’écouter un média qui heurte ses convictions. Et la liberté de critiquer les religions va de pair avec celle des croyants d’affirmer leurs convictions. C’est la chance et l’honneur de nos démocraties que l’expression de ce pluralisme médiatique. La liberté de la presse est d’ailleurs le baromètre de l’état des libertés fondamentales dans le monde. Partout où les journalistes sont pourchassés, où la presse est aux ordres ou bâillonnée, les droits humains y sont menacés.
Colonialisme et instrumentalisation de l’Histoire
La Provence 6.09.20

Déconfiner l’Eglise pour le monde d’après

La Provence 31.05.20 20 Jean-Claude Escaffit
Ainsi les chrétiens ont-ils retrouvé le chemin de leurs églises. Émotion d’avoir renoué avec le goût perdu de la communion. Privés durant onze semaines de messes et de cultes, ils peuvent célébrer la dernière grande fête du temps pascal. Avec masques, quotas de fidèles limités et prières mezzo voce, cette Pentecôte là a un parfum d’étrangeté. Pour les catholiques les plus intransigeants, qui ont exigé le retour au culte via les tribunaux, cela sonne comme une revanche sur la République laïque. Laissant planer un malaise jusque dans les rangs des évêques qui ont alors affiché publiquement des divergences entre eux. Quant aux fidèles, ils se sont peu fraternellement écharpés sur les réseaux sociaux. Exacerbant des lignes de fracture entre d’inconciliables conceptions de la foi et de l’Eglise.
De quoi les catholiques ont-ils été le plus privés durant ces temps de disette ? De la communion eucharistique ? De la dimension fraternelle de la communauté ? Du partage de la « Parole de Dieu » ? Certains diocèses, comme celui d’Aix-Arles, ont mis en ligne des questionnaires, pour préparer le monde d’après. A quoi va-t-il ressembler ? Certains oiseaux de mauvais augure prédisent sa ressemblance à celui d’avant… en pire ! Dans l’entre-soi religieux, comme dans les domaines géopolitique, économique ou écologique, le règne du chacun pour soi risque d’évincer les rêves d’un monde plus solidaire.
Les crises éclairent souvent d’une lumière
crue les divergences et malentendus. Ainsi, les relations Eglise-Etat se sont détériorées,
avec un gouvernement soupçonné de mépris à l’égard des croyants. Il s’agirait plutôt
d’une méconnaissance des religions, reléguées souvent au seul espace privé. Relation
abîmée aussi avec les autres confessions (les protestants, juifs et musulmans) qui
déplorent le cavalier seul catholique dans sa demande de déconfinement. Enfin,
tensions à l’interne où nombre de catholiques conciliaires regrettent que la
parole publique de l’Eglise soit réduite, avec cette crise, à la seule
revendication de culte. Un modèle clérical qui oublie aussi ces laïcs privés de
messe ici ou là-bas, par manque de prêtres ou de liberté, et qui vivent pourtant
des chemins spirituels inventifs.
Aujourd’hui, il s’agit de refaire l’unité entre les nostalgiques d’une certaine
chrétienté, obsédés par le déconfinement de leurs églises et ceux qui souhaitent
plutôt déconfiner l’Eglise, pour la faire entrer dans le monde d’après. Sacré
défi.
Se déconfiner grâce à la presse de proximité

Jean-Claude Escaffit, journaliste, ancien médiateur de la rédaction de La Vie (groupe Le Monde).
C’est un Paradoxe. Moins les médias traditionnels sont jugés crédibles par les Français, plus les fake news progressent sur les réseaux sociaux. Au baromètre annuel, le taux de confiance vis à vis de la presse diminue chaque année un peu plus ! Selon le sondage Kanta-La Croix 2020, 71{6e8d2247ebfffa752cf2ddc5df7bc8ac5aedbce1d2c6f6869a0181304bfba48d} de nos compatriotes estiment que les médias « ne rendent pas mieux compte de leurs préoccupations ». 46{6e8d2247ebfffa752cf2ddc5df7bc8ac5aedbce1d2c6f6869a0181304bfba48d} font confiance à la presse écrite et moins de 10 {6e8d2247ebfffa752cf2ddc5df7bc8ac5aedbce1d2c6f6869a0181304bfba48d} lisent un quotidien. Dans l’ère du soupçon généralisé, la télé n’obtient que 40{6e8d2247ebfffa752cf2ddc5df7bc8ac5aedbce1d2c6f6869a0181304bfba48d} de crédibilité. Si elle demeure la principale source d’information (pour 50 {6e8d2247ebfffa752cf2ddc5df7bc8ac5aedbce1d2c6f6869a0181304bfba48d} des Français), son audience ne cesse d’être grignotée par Internet. En 2020, 33{6e8d2247ebfffa752cf2ddc5df7bc8ac5aedbce1d2c6f6869a0181304bfba48d} des Français, dont 75{6e8d2247ebfffa752cf2ddc5df7bc8ac5aedbce1d2c6f6869a0181304bfba48d} des 18-24 ans, n’ont que cette source numérique d’information !
Durant cette crise, on a vu circuler sur les réseaux sociaux des « informations » extravagantes. Une vraie épidémie de fake news, qui font le lit du complotisme. Dans un monde où la rumeur prend le pas sur l’information, où le réflexe et l’émotion font office de réflexion, la presse joue pourtant un rôle essentiel. Elle livre une info, certes située, mais généralement fiable. Parce qu’elle cite ses sources, les vérifie et qu’elle doit rendre des comptes, y compris à la Justice. Moins prise par la dictature de l’immédiateté et du commentaire permanent, talon d’Achille des chaines d’info continue, la presse écrite est en ce sens irremplaçable. C’est l’honneur de nos démocraties que d’avoir une presse libre et pluraliste.
Durant le confinement, notre quotidien régional a accompli un travail remarquable. Nous livrant, au delà de l’écume des jours, des clés de lecture des événements, débusquant des initiatives proches et solidaires, des innovations exemplaires, offrant des points de vue différents, d’utiles infos pratiques et espaces de respiration… En ce temps d’incertitude et de chacun chez soi, ce travail délicat a pu maintenir un précieux lien social et élargir notre regard. En un mot, La Provence a joué un rôle de… déconfinement. A rebours de l’enfermement de réseaux aux tendances claniques.
Loin d’être un thuriféraire professionnel, il me semble nécessaire de promouvoir, avec vous amis lecteurs, cette indispensable presse de proximité, particulièrement auprès des plus jeunes. C’est une condition de sa survie.
Pâques à la maison, le pape au balcon
La Provence : parution dimanche de Pâques 2020.
Les leçons d’un carême confiné.
C’est assurément inédit dans l’histoire de la chrétienté. Des églises partout désertées et les fidèles relégués à une oppressante intimité. A l’unisson d’une humanité sous cloche, Pâques, la plus grande fête chrétienne reste aussi confinée. Un peu comme au temps du christianisme primitif ou dans ces contrées qui interdisent aux « nazaréens » tout droit de cité. Mais à l’échelle d’une planète, cela n’était jamais arrivé. Image saisissante que celle de ce pape chancelant, seul face à une place Saint-Pierre bourdonnant de silence. En cette soirée de carême, il porte au bout de ses bras fatigués le Christ offert en ostensoir et le poids d’un monde souffrant. Seul encore, en ce dimanche pascal, pour la traditionnelle bénédiction sur la ville et le monde. François au balcon et Pâques au tison, en mode confiné !
Ces journées d’enfermement seront peut-être plus nombreuses que la quarantaine de jours préparant les chrétiens à Pâques. Mais, comme le dit Edgar Morin, le très laïque philosophe que j’ai eu la joie de fréquenter, « le confinement pourrait être une opportunité de détoxification, qui nous permettrait de sélectionner l’important et rejeter le superflu, l’illusoire ». C’est exactement le sens du carême chrétien, temps de dénuement et de conversion qui repose sur le triptyque prière, partage, jeûne. C’est le manque qui donne du prix aux choses et permet un retour à l’essentiel. Comme le jeûne eucharistique qui prive le fidèle de communion dominicale. Les crises sont des miroirs grossissant de nos penchants. Elles peuvent être catalyseurs d’héroïsme et de sainteté, comme de bassesse et de lâchetés. Les exemples ne manquent pas dans l’actualité. Chez les chrétiens, la tentation existe aussi de fuir dans un fétichisme anesthésiant ou un consumérisme religieux effréné, via les écrans. Tentation dénoncée par certains évêques catholiques et pasteurs protestants.
Rester chez soi ne signifie pas chacun pour soi, pour autant. Allons nous sortir différents de cette traumatisante expérience ? Dans sa méditation du 27 mars, le pape François invite tous les hommes à « saisir ce temps d’épreuve comme un temps de choix « . En écho, Edgar Morin, appelant à un sursaut solidaire, souligne « le caractère anthropologique d’une crise qui nous fait profondément ressentir la communauté de destin de l’humanité… » Sacré défi existentiel à relever ! Et un message pour Pâques 2020, en somme.
Jean-Claude Escaffit
Unité des chrétiens : de nouveaux défis
La Provence 26.1.2020.
C’est un rituel incontournable. Chaque année du 18 au 25 janvier se déroule la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Dans les diocèses de France et d’ailleurs, catholiques, protestants, orthodoxes… se rencontrent pour des échanges et prières communes. Une approche encore timide entre « divorcés » qui, après quelques siècles de séparation, ne savent pas trop comment se remettre en ménage. Pas question encore d’habiter sous le même toit. Ni même de partager le même repas. Si les protestants sont ouverts à l’hospitalité eucharistique, cela coince du côté des catholiques qui ne l’autorisent que de manière exceptionnelle. Quant aux orthodoxes, ils ne conçoivent l’intercommunion qu’une fois l’unité doctrinale réalisée. Les théologiens semblent piétiner et les fidèles campent dans l’indifférence à l’égard des autres Eglises.
Le risque d’un « schisme » catholique