Archives de catégorie : Livre

Un itinéraire indien

En dialogue avec Jean-Claude Escaffit, Un itinéraire indien retrace le parcours  étonnant de Moïz Rasiwala, astrophysicien d’origine indienne et musulmane, devenu diacre dans l’Eglise catholique après avoir été chercheur au CNRS, coopérant  universitaire en Algérie, permanent à la communauté œcuménique de Taizé durant huit ans, promoteur de projets de développement et enfin expert auprès du Conseil régional de Midi-Pyrénées.
A la fois un questionnement sur l’identité plurielle et un magnifique hymne à la rencontre des cultures et des religions.  (Editions  Médiaspaul 2021).

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Recension Presse

Le Monde.fr 18 mars 2021
Il y a quelques hommes dont on peut dire qu’ils ont eu une « vie-monde ». Moïz Rasiwala est de ceux-là : né en 1937 à Bombay dans une famille d’Indiens musulmans, il a passé sa scolarité chez les jésuites avant d’étudier la physique nucléaire en Allemagne, tout en suivant des cours de philosophie. Il a ensuite travaillé à l’Institut d’astrophysique à Paris, passé plusieurs années en Algérie, puis est retourné en Inde mener une expérience de vie communautaire rurale, avant de s’établir dans la région toulousaine – où il vit toujours.
C’est cette existence d’une richesse inouïe que Moïz Rasiwala déroule dans ce livre d’entretien avec son ami Jean-Claude Escaffit, ancien journaliste avec lequel il a signé en 2008 une Histoire de Taizé (Seuil). Le récit de cette vie passionnante, où l’on croise des souvenirs de l’Inde coloniale comme de Mai-68, est d’abord guidé par une recherche spirituelle, qui conduira ce musulman à la conversion catholique à l’occasion de la rencontre décisive avec le frère Roger, fondateur de la communauté monastique de Taizé, où il deviendra animateur. Il y passe huit ans, et « c’étaient peut-être les meilleures années de nos vies, sans argent ni possessions matérielles, mais pleines de joie, de paix et de rencontres enrichissantes », se souvient Moïz Rasiwala.
A 84 ans, il fait désormais le vœu de partir en pouvant faire sien ce verset de Luc (17, 10) : « Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites : nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. » Y. B
« Un itinéraire indien », par Moïz Rasiwala (entretien avec Jean-Claude Escaffit), (Médiaspaul, 2021, 160 p., 17 €)
https://www.lemonde.fr/…/religions-et-spiritualites-six… 

La Vie

Un itinéraire indien
La vie de Moïz Rasiwala, cet enfant pauvre de Bombay devenu astrophysicien et chercheur au CNRS, ce musulman indien devenu permanent à la communauté oecuménique de Taizé, est
palpitante, romanesque. Elle est surtout le fruit d’une quête de sens vibrante, et une ode à l’unité entre les cultures, les religions et les confessions chrétiennes.
En ces temps où le poison de la division fait des ravages, l’on ne peut que conseiller la lecture de ce livre où cet artisan de la rencontre répond en toute simplicité aux questions de Jean-Claude Escaffit, ancien journaliste à l’hebdomadaire La Vie.
Alexia Vidot 21 janvier 2021

La Croix 20 mai 2021
De son enfance à Bombay dans une famille ismaélienne (branche minoritaire du chiisme) à sa retraite comme diacre catholique dans le Gers, c’est peu dire que Moïz Rasiwala a fait du
chemin. Son itinéraire imprévisible, cet astrophysicien de 84 ans le retrace auprès de son ami Jean-Claude Escaffit, ancien journaliste à La Croix. C’est à Taizé qu’ils se sont rencontrés dans les années 1970 : Moïz Rasiwala venait de découvrir cette communauté au sein de laquelle il participa à la préparation du concile des jeunes de 1974. Évoluant entre l’Inde, l’Allemagne, la France et l’Algérie, cet époux d’une protestante et père de cinq enfants offre le témoignage rare d’une conversion moins fulgurante que patiemment accueillie.
Mélinée Le Priol

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Namaskar, Père Laborde !

Hommage dans La Vie à celui qui a consacré la sienne aux pauvres de Calcutta et dans le bidonville de Pilkhana (« La Cité de la Joie » ), parrainé par les lecteurs de l’hebdomadaire chrétien.

C’est un message succinct reçu alors que les feux de la fête ne sont pas encore éteints dans nos foyers européens. Le jour de Noël, le Père Laborde a fait le grand passage. Le courriel émane d’Inde, de nos amis Léo et Françoise Jalais, ses fidèles compagnons. Assorti d’un avis de décès de l’archevêché de Calcutta annonçant que ce prêtre français, missionnaire du Prado s’est éteint le 25 décembre 2020 à l’âge de 93 ans. Arrivé en Inde en 1965, sa vie fut consacrée jusqu’au bout aux pauvres des bidonvilles de Calcutta, aux lépreux et jeunes handicapés du Bengale.

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La Vie avait consacré plusieurs articles à François Laborde, dont le dernier en novembre 2016. « En 51 ans de mission, j’ai vu des choses inhumaines, confiait-il à Laurence Faure. Dans un bidonville, il y a tout de l’Enfer. Mais j’y ai aussi contemplé le Ciel. Car chaque famille, qu’elle soit musulmane, hindoue ou chrétienne, prie quotidiennement… Ces croyants offrent à Dieu toute leur misère, leurs luttes, leurs joies. En cela, j’aime dire que j’ai connu deux monastères dans ma vie : la Grande Chartreuse, où j’ai vécu durant cinq mois en 1945 pour discerner ma vocation et les slums, où les prières des pauvres s’élèvent, invisibles, vers le ciel.« A l’annonce de sa mort, les médias indiens et français ont rappelé à l’unisson que cette vie auprès des parias de Calcutta avait inspiré un best-seller mondial : La Cité de la Joie. Baptisé ainsi dans le récit de Dominique Lapierre, ce bidonville s’appelait en réalité Pilkhana. Bien connu des anciens lecteurs de La Vie, il suscita l’une des plus grandes initiatives solidaires de notre journal, mobilisant des milliers de donateurs durant vingt ans, par l’intermédiaire de l’association des Amis de Seva Sang Samiti.

A la suite des reportages de Jean-Philippe Caudron, parus lors des Noëls 1972, 1975 et 1980, nos lecteurs ont financé régulièrement des projets médicaux, éducatifs, d’assainissement… Avec l’ami Jacques Houzel, photographe (dont nous venons d’apprendre le décès, le 25 décembre également) et six ambassadeurs de ces milliers de donateurs, nous sommes retournés à Calcutta en décembre 1983, pour le numéro 2000 de La Vie. Ce formidable lien solidaire s’était  étendu au rural, permettant jusqu’à un demi million de paysans du Bengale de rester sur leur terre plutôt que de trainer leur misère dans la mégapole.

C’est en 1971 dans les camps de réfugiés du Bangladesh que Léo Jalais a rencontré François Laborde. « Alors que j’étais jeune volontaire de Frères des Hommes, il m’a invité à rejoindre la petite équipe de Sevah Sang Samiti dans le slum de Pilkhana. Inspirés par la vie de Charles de Foucauld, nous étions des pauvres au service des plus pauvres. » Ainsi, avec Gaston, un frère du Prado, Léo avec sa femme Françoise et leurs trois enfants ont partagé la vie de ces intouchables pendant plus de vingt ans. François Laborde, lui, a quitté Pilkhana au bout de neuf ans, pour ne pas faire d’ombre. Un détachement fécond qui l’a amené à fonder, au service de milliers d’enfants handicapés, une belle œuvre qui perdure.  » J’ai dû partir de Pilkhana car on ne parlait que de moi « , confiait-il à Laurent Bissara, prêtre des Missions étrangères de Paris, qui lui a succédé en 2018 à la tête de l’association Howra South Point. C’est cet esprit d’humilité, sa simplicité évangélique que retiennent de lui ses amis. Son humour aussi.

Namaskar, Père Laborde ! Salut indien réhabilité chez nous par temps de covid, dont nous avons découvert à Calcutta le sens profond : « Que mon cœur se joigne au tien comme les deux paumes de nos mains« .
Jean-Claude Escaffit

« Sur les traces du père »

Il n’est de devoir de mémoire sans devoir de vérité.

Sur les traces du père

Questions à l’officier tué en Algérie

Par Jean-Claude Escaffit
Préface de Yasmina Khadra, écrivain algérien : « Là où les armes ont chahuté les rêves, la main fraternelle est capable de reconstruire ce qui a été détruit. (…) J’aime le livre de Jean-Claude Escaffit , pour son message fraternel, je l’aime pour sa sobriété, sa sérénité, sa stupéfiante simplicité de prouver que les ennemis d’hier ne sont pas forcément ceux d’aujourd’hui. »»
Un témoignage bouleversant guidé par une démarche de réconciliation.
Un conflit  revisité de façon originale et pédagogique.
Comme journaliste, Jean-Claude Escaffit a travaillé sur les droits de l’Homme, ainsi que sur l’Algérie.

Couverture  articles de presse

Quelques réactions de lecteurs

Jean-Pierre D (86)  : Je viens de lire le petit livre de Jean-Claude Escaffit et j’ en suis infiniment remué : transmettez lui mes félicitations pour son travail . Je suis un ancien « appelé » en Algérie où je suis resté 2 ans et malgré cela son livre m’a restitué des détails que je ne connaissais pas ou que j’ avais oubliés. Qu’ il est bon à l’ heure que nous vivons d’ entendre ce message de Fraternité. Merci à vous de diffuser des ouvrages de cohésion sociale comme celui-là.
Myriam C (13) : J’ai lu le livre Jean-Claude Escaffit. Il m’a émue. J’y ai senti un souffle qui fleurait bon l’Evangile  et je rends grâce qu’il ait eu ce courage d’aller ainsi à la rencontre d’une histoire si douloureuse. Mais j’ai aussi compris que comme pour les douleurs de l’enfantement, n’était resté ensuite que le bonheur de la vie. Merci pour ce beau témoignage.
Jean-Marie R (amazon.fr) : Une histoire touchante sur fond de guerre d’Algérie. Des larmes de l’enfant qui a perdu son papa à la guerre aux interrogations de l’adulte… Un chemin vers la mémoire et la vérité, où s’entremêlent les destins croisés des Algériens, Français, Pieds-noirs et Harkis, dans un même battement de coeur loin des clivages habituels et des manichéismes réducteurs. Une aventure singulière et universelle, qui nous parle de valeurs et d’humanité. On ne ressort pas de ce récit comme avant.
Latifa T-G (facebook) : « L’histoire de l’humanité est le récit de notre inaptitude à assimiler ce que les mufleries de l’existence nous infligent à travers les âges » Yasmina Khadra, préfaçant le livre de Jean-Claude Escaffit que je viens de dévorer. En retournant sur les traces de son père tué pendant la guerre d’Algérie et cherchant à comprendre les circonstances mais surtout le rôle joué par ce père officier des Sections Administratives Spécialisées (SAS) dans un coin enclavé de petite Kabylie, Jean-Claude a le cran de courir le risque de le faire tomber de son piédestal. Un livre super touchant ! Merci.

Réconciliation et vérité. Itw par des lycéens

Recueilli par des élèves du lycée des Chartreux à Lyon, mars 2015.

Vous sentez-vous comme un acteur de la mémoire de la guerre d’Algérie? Si oui, comment ? L’êtes-vous autant de l’Histoire?
Cela dépend de ce que l’on entend par acteur de la mémoire. Nous le sommes tous à des niveaux différents. En ce qui me concerne à propos de la guerre d’Algérie, pas directement, puisque jeune enfant à cette époque, je n’avais jamais mis les pieds sur cette terre, ni été appelé à combattre là-bas parmi  le million et demi de militaires français qui s’y sont succédé.  Je ne suis pas non plus historien. Cependant, je suis concerné à un double titre.  Ma recherche a été induite par mon parcours de journaliste ayant recueilli des dizaines de témoignages d’acteurs de la guerre. Et cela m’a amené à me poser des questions sur l’attitude d’un père qui a dû fatalement être confronté au problème de la torture, pratiquée dans tous les régiments. Le livre que j’ai écrit « Sur les traces du père – Questions à l’officier tué en Algérie » se situe au carrefour de mon histoire intime et de la grande Histoire. 

La torture est-elle toujours un sujet tabou ? Et un sujet qui divise ? 

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Cela a été très longtemps tabou. Au niveau officiel, les autorités politiques et militaires ont pratiqué le déni. Depuis une vingtaine d’années, de nombreux témoignages sont parus dans les médias, dont  ceux pour qui j’ai travaillé, La Croix et La Vie. Ces témoignages ont aussi contribué à libérer la parole et permis d’avouer la honte d’appelés du contingent qui en avaient été des témoins souvent passifs, voire des complices. Très souvent, ils n’avaient jamais parlé à leurs proches de cette guerre traumatisante. Si la torture n’est plus un tabou, elle reste un sujet très douloureux et un facteur de division… même si on trouve peu de monde aujourd’hui pour la justifier pleinement, du moins publiquement.

Votre point de vue sur la guerre a-t-il évolué avec le temps ? Si oui, de quelle manière ?
Fatalement, entre l’enfant qui en voulait à ceux qui lui avaient enlevé son père et l’adulte qui a forgé de solides amitiés algériennes… Mais ce qui a fait le plus évoluer ma vision, c’est de travailler sur les origines de cette guerre, sur ses causes et donc sur la question de la colonisation. On se rend compte que le divorce avec ceux que l’on appelait les Français musulmans remonte à très loin, notamment à la fin de la guerre de 14-18, voire avant. Et l’on est surpris de constater rétrospectivement la cécité des politiques devant le fossé qui n’a cessé de se creuser, souterrainement, pendant les décennies suivantes.

Etes-vous favorable à une repentance de l’Etat français réclamé par l’Etat algérien?
Non. Pas plus que d’inscrire les côtés positifs de la colonisation dans nos manuels scolaires. C’est une manière d’instrumentaliser l’Histoire à des fins partisanes. Se repentir d’avoir colonisé l’Algérie ? C’est un fait historique. Comme les conquêtes des deux Amériques, les conquêtes arabes ou l’occupation romaine de l’Europe. En revanche, je pense que la France pourrait dire officiellement ses regrets sur des exactions, des discriminations,  des confiscations de terre dont ont été victimes les populations autochtones. Sortons d’incantations abstraites pour parler de faits précis. Un peu comme l’a fait le président Chirac à propos de la rafle du Vel d’hiv, en 1942 à Paris, ce qui permettait de reconnaitre ainsi la collaboration de l’Etat français avec l’occupant nazi.

Quel est votre jugement sur la vision du FLN en Algérie ?
Le Front de Libération national algérien se sert de la colonisation et de la guerre d’indépendance pour faire oublier les problèmes internes. En Algérie, c’est un unanimisme de façade qui fait perdurer le mythe fondateur de l’Etat algérien et qui permet le maintien du parti au pouvoir. Avec des chiffres fantaisistes sur le nombre de morts. Les manuels officiels algériens parlent d’un million et demi, alors que les historiens sérieux des deux pays s’accordent sur une fourchette de 300 à 400 000 pour l’Algérie contre 30 000 côté français. Il y a aussi des propos incantatoires sur le soulèvement spontané de tout un peuple autour du  FLN, de son drapeau, de ses martyrs et de ses héros. La réalité est assez différente. Il faudra bien un jour que le pouvoir algérien reconnaisse ses guerres intestines et ses exactions. Il n’y a pas de devoir de mémoire, sans devoir de vérité. C’est ce que je plaide de part et d’autre de la Méditerranée.

Les lobbies mémoriels sont-ils une réalité selon vous ? Ont-ils un poids important?
– Oui, en France comme en Algérie. Ils sont révélateurs d’une certaine vision de l’Histoire et de  la  volonté de la réécrire. Au gré des commémorations et des récits, on a parfois l’impression de ne pas évoquer la même guerre, d’évoluer dans des décors différents. En ce sens, on peut parler de guerre des mémoires.

Le temps d’oubli après la guerre était-il nécessaire selon vous ? Revendiquez-vous un droit à l’oubli ?
Oui si l’oubli n’est pas l’amnésie. Malheureusement, on a longtemps été dans le déni, dans l’occultation de la réalité. Ces traumatismes refoulés n’ont fait que raviver blessures secrètes et ressentiments tenaces. Il serait temps de regarder notre histoire en face.Une manière de considérer ensemble nos responsabilités. Non pour renvoyer l’autre à ses torts et ses errements. Mais pour solder les comptes de nos propres histoires. C’est la condition nécessaire d’une mémoire apaisée qui permettrait de tourner la page.

Quel est le rôle des intellectuels dans la recherche d’un apaisement des mémoires ?
Déjà, ils permettent de prendre du recul. Des historiens des deux pays travaillent ensemble pour  une Histoire partagée. Nombreux aussi ceux qui sont engagés dans la réconciliation. Comme le grand écrivain algérien Yasmina Khadra, qui a eu un coup de cœur pour mon livre. Il a écrit dans la préface : « J’aime le livre de Jean-Claude Escaffit pour sa stupéfiante simplicité de prouver que les ennemis d’hier ne sont pas forcément ceux d’aujourd’hui. » Son père s’était battu contre le mien.
Je crois beaucoup à la possibilité d’une mémoire apaisée grâce à la génération montante des enfants et petits-enfants des combattants des deux pays. A condition d’avoir fait, de part et d’autre, un véritable travail de vérité.

Recueilli par Pierre Coquelle

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Algérie, le temps de la réconciliation ?

Devoir de mémoire, devoir de vérité

Conférence à l’abbaye d’Aiguebelle (Drôme) et à Rognes (Bouches-du-Rhône)
Avril 2015
Durant cet exposé, il va beaucoup être question de mémoire. Comme en ce moment, dans l’actualité : mémoire célébrée, recomposée, mémoire blessée, apaisée, devoir de mémoire, déni de mémoire…

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On a commémoré le génocide arménien, encore nié, 100 ans après, par le pays qui en a été l’instigateur. La mémoire ce n’est pas qu’une réminiscence du passé. Elle nous révèle nos comportements du présent. Elle permet aussi de construire l’avenir. Le philosophe Paul Ricœur, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur la question du pardon pour un dossier du journal La Vie, me parlait à ce propos de « conversion de la mémoire ». « On n’efface pas l’événement, disait-il. Une personne qui est morte ne reviendra pas. Mais cette conversion de la mémoire permet à son tour un regard sur le futur. » Mais il n’y a pas de devoir de mémoire sans devoir de vérité, c’est ce que j’ai mis en exergue de mon livre Sur les traces du père – Questions à l’officier tué en Algérie.
Le choix d’événements mémoriels est révélateur de notre vision de l’Histoire et de nos relations humaines. A l’évidence, à propos de la guerre d’Algérie, notre mémoire est éclatée, communautarisée. Je voudrais revenir sur un anniversaire récent qui a fait couler beaucoup d’encre surtout à Béziers. Je veux parler du 19 mars 1962, qui commémore les accords d’Evian. Cette date d’un cessez-le feu théorique est rejetée par tous ceux qui dénoncent – à juste raison, d’ailleurs – la poursuite exponentielle des violences en Algérie. Certaines municipalités ont choisi de rayer le 19 mars 62 de nos rues et de nos monuments, voire de nos mémoires.
Au delà des arrières pensées électoralistes, au-delà des polémiques, on touche du doigt la difficulté en France de trouver une date pour célébrer la fin de ce conflit qui a traumatisé des générations de Français.
Chacun regarde cette histoire à travers son vécu personnel, son appartenance familiale ou idéologique. Au gré des commémorations et des récits, j’ai eu parfois l’impression que l’on n’évoquait pas la même guerre, l’impression d’évoluer dans des décors différents. Même à l’intérieur de nos propres frontières.
Est-ce qu’il ne serait pas temps de recoller les morceaux du puzzle, temps d’enterrer cette hache de guerre des mémoires qui ne fait que raviver blessures et ressentiment ? C’est ce qui a conduit ma démarche dans ce livre Sur les traces du père. Un récit personnel, qui veut revisiter la guerre d’Algérie, des deux côtés. Une histoire singulière qui rejoint la grande Histoire.
Ce récit est au carrefour de mon parcours de journaliste (à La Croix, puis à La Vie, ainsi que des collaborations régulières à France Télévisions, JDS). Au carrefour d’une expérience professionnelle et d’une quête beaucoup plus intime.
Mon père le capitaine Jean-Marie Escaffit, officier de carrière, a été tué en Algérie en Petite Kabylie en 1959. Il était à la fois chef d’une batterie opérationnelle (artilleur) et d’un poste SAS. Les Sections administratives spécialisées, ont été créées en Algérie pour se rapprocher de la population autochtone par des actions administratives, actions de scolarisation, de santé, d’aides diverses. Tout en cherchant à s’allier les bonnes grâces de la population et à obtenir d’elle des renseignements. On la chargeait aussi de réaliser ce que l’administration française n’avait pas pu ou pas voulu faire durant 130 ans, à savoir le recensement, la scolarisation d’enfants.
Mon père a été tué par un obus piégé. Quelques semaines avant sa mort, il avait été prévenu par le deuxième bureau de l’armée que son assassinat était programmé. Moi, je n’avais pas neuf ans et mon frère, presque sept ans.
La question m’est souvent posée. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ? Pourquoi, de l’enfance à la retraite, est-ce que j’ai traversé les strates du temps sans chercher à en savoir davantage sur mon père ? Il faut vous dire qu’avec mon épouse, nous entretenons de solides amitiés de part et d’autre de la Méditerranée, particulièrement avec la Kabylie. Nous avons même, ironie de l’Histoire, un petit fils, Timon, qui a du sang kabyle.
Pourquoi avoir attendu cinquante-quatre ans pour replonger dans la mémoire blessée de ce conflit traumatique ? Je ne suis pas le seul. D’autres aussi ont attendu le crépuscule de leur vie pour se confier. J’ai tardé surtout parce que mon métier de journaliste m’avait amené à travailler sur ces dossiers et cela m’avait plongé dans une certaine perplexité. Et j’ai pris alors la mesure d’un risque : celui de faire vaciller le piédestal de héros familial. Papa cette icône intouchable, dont la photo est restée accrochée au mur de la maison pendant toute mon enfance et toute mon adolescence. Véritable statue du commandeur.
Mon père, ce héros… inconnu. Que savais-je de lui ? Lui que j’avais connu que quelques années entre les guerres d’Indochine et d’Algérie ? Ma mère, avec qui ils s’écrivaient tous les jours, avait brûlé toute la correspondance d’Algérie. Il ne demeurait qu’une centaine de diapositives. Images expressives, mais muettes.
Pendant des années, je croyais avoir fait mon deuil, avoir tourné la page.
Pendant plus de trente ans ce fut le silence… Comme finalement pour ce million et demi de soldats de retour en France. Il leur en a fallu du temps pour sortir de leur mutisme. Longtemps, ils sont restés enfermés dans des souvenirs indicibles. En gros, jusque dans les années 90, où l’on commence à percevoir une libération de la parole publique.
Mon métier de journaliste m’avait conduit alors à rencontrer divers témoins. Un officier SAS, le Père Maillard de la Morandais, qui a écrit « L’honneur est sauf » . Il y a eu aussi le film « La guerre sans nom » de Bertrand Tavernier et Patrick Rotman, qui faisait témoigner une quarantaine d’anciens appelés.
Puis il y eut diverses révélations sur la torture, en 2000. Bien sûr, j’en avais entendu parler auparavant. Mais le témoignage de Louisette Ighilahriz dans le Monde (face au général Ausaresse), a provoqué de nombreux témoignages dans nos journaux. Comme responsable du courrier des lecteurs à La Vie, je reçus un courrier abondant, près de 200 lettres, de tous secteurs du conflit. Souvent douloureuses. D’anciens militaires, surtout des appelés, y livrent pour la première fois ce qu’ils n’ont jamais osé dire auparavant. Les cris dans les casernes, la vision des suppliciés. Et parfois aussi leur lâcheté de ne s’être pas insurgés, voire d’en avoir été complices. Une litanie d’examens de conscience pointant du doigt un système de valeurs qui s’était fissuré de l’autre côté de la Méditerranée.
Chargé par mes confrères, les médiateurs du Monde et de France 2, d’analyser le courrier reçu dans nos trois médias, j’ai pris alors totalement conscience, à travers ces centaines de lettres, de cette terrible réalité : en Algérie la torture fut massive et présente dans beaucoup d’unités.
Cela a été pour moi un choc. Et une question lancinante qui n’a jamais cessé de me tarauder : comment mon père s’est-il comporté ? Non que je le soupçonnais d’être un tortionnaire, mais, lui, l’ancien résistant, l’humaniste, comment a-t-il pu échapper à cette pratique courante qui, il faut bien le dire, a été érigée en système ? Et autre question… pourquoi avait-il été visé nommément ?
Plusieurs fois, j’ai eu des velléités de me rendre sur les traces paternelles. Je connaissais l’Algérie professionnellement, mais pas la Kabylie. Mais la décennie noire de la guerre civile avec les islamistes, jusque dans les années 2000, avait retardé le projet. De toute façon, c’était prématuré. En octobre 2013, pourtant nous avons sauté le pas, en famille. C’était mûr désormais. Qu’est-ce qui m’a poussé à franchir le Rubicon kabyle ? L’urgence de recueillir le témoignage des générations déclinantes.
Mais c’est plus encore l’expérience d’une mémoire pacifiée au cours d’un précédent voyage, organisé en septembre 2012 par l’hebdomadaire La Vie, à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie. Nous formions un groupe hétérogène : Pieds-noirs, anciens combattants, anciens coopérants et même couples franco-algériens… Avec chacun des émotions et des souffrances différentes. Cela aurait pu être explosif. Ce groupe hétérogène a été en fait très soudé. Sans doute parce que nous étions à l’écoute des uns des autres. En Algérie, ce fut un accueil fantastique de la population.
Il y eut aussi au cours de ce voyage, une rencontre étonnante à Oran. Un ancien appelé prenait des photos sur l’ancienne place d’armes, près du musée des Moudjahid, les anciens combattants. Il s’est fait aborder par un groupe de septuagénaires qui l’ont invité à boire un thé et l’on interrogé. Hésitant, il finit par lâcher qu’il est venu comme militaire. Comme radio d’un lieutenant qui a été tué durant sa permission en France. Et ces vieux algériens de lui raconter en détail les circonstances de l’embuscade et les exactions aveugles de l‘armée qui s’en suivirent. Et les voilà partis ensemble visiter son ancienne caserne, redevenue une école… Au moment de se quitter, deux heures après, les combattants des deux camps se sont étreints en échangeant un baiser de paix.
J’ai compris alors deux choses :
1-Entre les peuples et leurs dirigeants, le fossé reste grand. Sur la question de la mémoire, notamment. La vision qu’ont les algériens de la guerre d’indépendance est différente de celle du pouvoir qui continue à entretenir le mythe d’un peuple uni derrière le FLN qui a bouté le pouvoir colonial hors du pays. Or, pour les moins de 50 ans, « la Révolution », c’est la guerre de 14-18. Et pour les plus âgés, la mémoire est en voie d’apaisement. Côté français, même constat à l’envers, c’est-à-dire, on se heurte à un mur du silence gêné, on invoque l’amnistie. Et nos gouvernants respectifs n’ont cessé d’être ballotés par des intérêts divergents – entre pieds-noirs, anciens combattants, harkis, nostalgiques de l’Algérie française ou pro-indépendance… Et des deux côtés de la Méditerranée, on n’a jamais cessé d’instrumentaliser l’Histoire.
2- Deuxième constat, plus personnel : A la suite de cette scène de fraternisation entre combattants à Oran, je me suis dit que nous les fils du capitaine Escaffit, nous pourrions aller à notre tour à la rencontre de ceux contre qui notre père s’était battu.
Le voyage a eu lieu en famille avec mon frère et nos épouses, en octobre et novembre 2013. Mais seul problème, il y a des maquis djihadistes, dans ce secteur de Petite Kabylie. Le site du ministère des Affaires étrangères déconseillait formellement de nous rendre dans cette zone. On ne pouvait compter sur une escorte de la gendarmerie, comme cela se fait dans tout le pays, pour les touristes français ou américains qui le souhaitent.
C’est alors que s’est mise en place une étonnante chaîne algérienne de solidarité pour pouvoir mener à bien notre projet. Par amis d’amis qui avaient des connaissances, qui… Pour tomber sur un certain Rachid, un armateur, propriétaire d’un hôtel sur la côte kabyle qui déclare vouloir assurer notre sécurité. On a découvert plus tard que Rachid était le fils d’une résistante algérienne, blessée, qui avait été sauvée par un ancien officier de l’Armée française d’origine algérienne, celui qui deviendra le père de Rachid. Une vraie saga.
1er novembre, jour anniversaire du début du conflit (pas fait exprès !). La fameuse Toussaint rouge ! L’Histoire a d’étranges concordances, tout de même. 1er novembre en France c’est jour férié, comme en Algérie, mais pas pour les mêmes raisons. Comme le 8 mai 1945 où l’on célèbre là-bas la mémoire douloureuse des massacres de Sétif, qui préfigureront la guerre d’indépendance. Il y a aussi cette date du 5 juillet 1962 qui marque l’indépendance du pays. Mais cela rappelle aussi les massacres des pieds-noirs d’Oran et… l’anniversaire de la prise d’Alger en 1830.
1er novembre 2013, avec mon frère et nos deux épouses, nous étions sur le pied de guerre, pour nous rendre à une quinzaine de kilomètres dans les terres, là où mon père avait passé les derniers mois de sa vie. Notre escorte était composée de trois hommes en armes. Certains faisaient partie d’une milice patriotique combattant les islamistes. L’un d’eux avait descendu trois islamistes un mois plus tôt à deux pas de notre hôtel ! Je vous passe toutes les tribulations du chemin.
Nous voilà arrivés à un endroit occupé aujourd’hui par l’armée algérienne où l’on nous dit : « Voilà, c’est ici le poste que commandait votre père. » Ironie de l’histoire, ces militaires algériens se trouvaient dans le même état de siège que les militaires français, il y a 50 ans, cernés par un environnement hostile. En redescendant, nous voulions nous recueillir sur le lieu de l’attentat, nous tombons dans cet endroit totalement désert, sur un vieillard sorti de nulle part. Rachid a fait arrêter les voitures et l’a interpelé : « As-tu connu les militaires ici pendant la guerre ? » Et lui de répondre par l’affirmative. « Y-a-t-il eu des accrochages ? » Et de raconter, dans les détails, l’attentat à l’obus piégé qui a déchiqueté notre père et l’un de ses sous-officiers. Nous apprendrons quelques jours plus tard que cet homme de 91 ans, croisé par le plus grand des hasards, était l’un des poseurs de bombe. Nous n’avons pu rester sur place, dans cette campagne qui regorgeait de complicités islamistes.
Mais je n’avais pas de réponses à bien des questions : Comment était perçue la SAS, dans la population ? Pourquoi avait-on visé nommément mon père ? Quelle était l’exacte mesure de la répression après la disparition du capitaine ? Et quid de l’école qu’il avait fait construire ?
S’en ait suivi tout un travail de recherches. Je suis venu plusieurs fois à Vincennes au service historique de la Défense, j’ai recueilli également de nombreux témoignages, du côté des militaires qui avaient côtoyé mon père, mais aussi de ceux qui l’avaient combattu. Car, je suis retourné en Algérie au printemps 2014. J’ai appris que, s’il avait été tué, c’est parce que, au nom de l’éthique vis à vis des populations civiles, il n’avait pas voulu prendre un risque qui mettait en jeu des enfants. Je ne vous en dit pas plus sur les détails que je révèle dans mon livre.
J’ai pris connaissance aussi de ses débats de conscience, lui qui était entré dans l’armée à dix-huit ans, comme maquisard contre l’occupant allemand. Il aimait cette population, sans doute à la manière de l’époque où l’on pensait encore apporter la civilisation. La majorité des officiers SAS étaient souvent des humanistes. 1/3 officiers de carrière, 2/3 d’appelés. Parmi les appelés, on comptait des hommes comme Jean-Pierre Chevènement ou des séminaristes comme Jacques Gaillot, futur évêque ou encore Christian de Chergé, de Tibhérine. Son attirance pour l’Algérie est née notamment pendant cette guerre. Sauvé dans la SAS, par un Algérien, Mohammed, père de 5 enfants.
Quand j’ai entrepris ce récit, je ne savais pas ce que j’allais trouver au bout du chemin. J’ai pris un risque. J’étais prêt à l’assumer. Ce livre est une longue adresse à mon père, parfois douloureuse, mais toujours tendre. Ni héros, ni son contraire… j’ai, en fait, pu lui restituer son humanité, loin des clichés réducteurs. Même si je n’ai pas eu réponse à toutes les questions, même s’il demeure par définition, une part d’ombre. Dans la préface, Yasmina Khadra dit que mon livre est surtout la quête d’un apaisement, plus qu’une enquête. Certainement. Mais, il y a eu aussi un véritable travail d’enquête.

Ce fut cependant pour moi un parcours bordé de larmes, de révélations bouleversantes. Car, à cette occasion, j’ai eu connaissance d’exactions, de vengeances terribles contre des populations civiles, dont je n’ai trouvé aucune trace, ni même de vagues allusions, dans les archives de l’Armée. Amnistiées ! Donc oubliées. Ricœur faisait remarquer d’ailleurs que l’amnistie a les mêmes racines que l’amnésie. Et il citait les crimes perpétrés pendant la guerre d’Algérie qui ont été amnistiés, et qui ont créé une forme d’oubli. « C’est, disait-il ce qui continue à nourrir le ressentiment. »
Parmi quatre ou cinq témoignages recueillis, je vous livre une de ces exactions dont j’ai eu connaissance directement. Il s’appelle Ben. C’est un élève de mon épouse à l’alphabétisation du Secours catholique. Il habite Aix-en-Provence. Son père a disparu, avec une demi-douzaine d’autres hommes de son village, près de Tlemcen. En représailles à des sabotages, il a été pris en otage. Et ils ont été emmurés dans une grotte, peut-être vivants. On ne sait pas exactement. On ne les a jamais retrouvés. Le père de Ben, un homme d’un certain âge, avait combattu dans l’armée française contre l’occupant nazi.
Non, il n’était pas facile d’avancer au milieu de demi-vérités enterrées parfois sous le poids de la honte. Je me suis attaché à faire émerger des paroles suintant la souffrance. Sans compte à régler. Avec simplement le souci de voir sortir de cette vérité, une mémoire apaisée.
De cette expérience, je retiens trois choses :
1 -L’étonnante chaîne de solidarité des Algériens, au cours de notre voyage et de mes recherches. Nous avons été aidés par de nombreux amis, souvent inconnus.
Je vous cite une anecdote. Le jour où nous revenions de notre expédition dans le maquis, Rachid nous a invités dans un restaurant de poissons. Au moment d’aller payer la note, il a eu la surprise de constater que quelqu’un était déjà venu payer. Nous étions pourtant près de dix convives. C’était un ami à lui qui était venu le saluer à table et à qui il avait raconté notre histoire. Je dois vous dire que cela nous a bouleversés.
Quand je suis retourné en Algérie, fin avril 2014, je n’ai pu rencontrer l’homme qui avait posé la bombe, c’était devenu encore plus dangereux de se rendre dans ce secteur (plus loin, 16 militaires tués dans une embuscade. Depuis Hervé Gourdel). Et Rachid s’était fait remonter les bretelles par les sommets de la sécurité militaire qui avait été évidemment mis au courant. Il est allé voir le vieil homme avec des questions précises que j’avais préparées. En revanche, j’ai pu rencontrer des maquisards qui avaient combattu mon père. L’un d’entre eux m’a dit : « Quand on a décidé de le supprimer, ne crois pas que c’est l’homme que l’on visait, mais c’était l’officier. Pour nous, c’était un trophée de guerre. »
La Kabylie, était restée longtemps juste un piton rocheux accroché à la mémoire, elle est devenue désormais peuplée de visages connus, voire de visages amis. Certains ont pris des risques pour nous accompagner. Je revois le sourire triste de Farhat, l’homme à la Kalachnikov qui a mené un combat sans merci contre les islamistes. Je suis retourné avec Rachid au printemps 2014 le voir dans sa cachette dans la montagne. Car il se terre avec des tueurs aux trousses.
2- Il ne peut y avoir de réconciliation sans la reconnaissance des souffrances de chacun. Dieu sait s’il y en a eu : populations civiles et combattants dans les deux camps, les pieds-noirs que l’on a déracinés brutalement, les harkis abandonnés, exécutés sommairement…
Sous prétexte que l’on a fait pire de l’autre côté, on refuse souvent de reconnaitre celle d’autrui. Dans l’appel à témoignages de lecteurs que j’avais lancé, j’ai reçu aussi des lettres de reproche. « Il n’est pas souhaitable que la France s’agenouille pour implorer le pardon des Algériens. C’est remettre à vif des souvenirs douloureux et vouloir oublier ce que nos soldats ont aussi connu et ceux qui sont morts sous la torture. » C’est vrai, il ne faut pas le nier. Mais, n’oublions pas non plus qu’il y a eu dix fois plus de morts côté Algériens que Français.
Le psychanalyste Jacques Arènes avec qui j’ai travaillé sur un hors-série Pardon me confiait « Nos propres blessures narcissiques nous empêchent trop souvent de voir les blessures infligées à l’autre. »
Tout au long de mes recherches, je me suis retrouvé dans une posture assez étrange et paradoxale. Certes, j’étais sensible aux morts français, aux récits des embuscades d’un ennemi invisible. A la peur qu’ont pu éprouver ces appelés français. Mais je n’ai jamais pu oublier les morts d’en face, les disparitions tragiques….
Quand j’ai visité, par exemple, des maquis algériens dans les Aurès, il m’est revenu instinctivement, comme un flash, la découverte du maquis de mon père dans le Tarn en 1944. Même topographie des lieux, même plan de fuite, même peur et mêmes armes, face à un adversaire beaucoup plus puissant. Quelles qu’elles soient, toutes les souffrances sont respectables à mes yeux. C’est vrai, des deux côtés. Il n’y a pas de bons ou de mauvais côtés de la souffrance.
1 Chaine de solidarité algérienne. 2 Reconnaitre toutes les souffrances qui sont respectables. 3e leçon :
3 – Il n’y a pas de devoir de mémoire sans devoir de vérité, que j’ai mis en exergue de mon livre. Je pense qu’il faut du temps pour le réaliser, quel qu’en soit d’ailleurs l’objet. Cela a été mon cas. 54 ans après ! La France a mis du temps, mais a entrepris ce travail de vérité. Un travail encore loin d’être achevé. Il reste des non dits importants que je n’ai pas pu débusquer dans les archives, mais que des témoignages m’ont révélés.
Cependant, ce travail, qui est tout de même avancé en France, n’est pas encore du tout au programme en Algérie. Du moins chez les autorités pour qui la guerre de Libération reste un mythe fondateur de l’Etat algérien. Il demeure les discours de la propagande officielle, colportant encore des chiffres fantaisistes de victimes (un million et demi, alors que tous les historiens sérieux donnent une fourchette entre 300 et 400 000). Il reste les propos incantatoires du pouvoir sur le soulèvement spontané de tout un peuple autour du FLN. Alors que l’on sait qu’il y a eu des épurations terribles, notamment contre le MNA (l’organisation rivale du FLN) et sur les populations qui ne se ralliaient pas. Cela reste un sujet tabou.
Il y a un message que je tente de faire modestement passer à nos amis algériens dans ce livre : « Regardons notre histoire en face, vous comme nous ». Non pour nous exonérer de nos propres responsabilités mais pour se parler en vérité. Plutôt que de vouloir instrumentaliser l’Histoire, avec d’un côté des déclarations officielles sur les côtés positifs de la colonisation et de l’autre, expliquer les problèmes de l’Algérie aujourd’hui par l’exploitation coloniale (cf Bouteflika Indécent). Il ne peut y avoir de réconciliation sans la reconnaissance de la part de responsabilité de chacun dans des domaines différents. Dans un dialogue en vérité. Pour se défaire des fantômes qui empoisonnent encore nos relations.
Je pense que le temps est venu de montrer, comme l’écrit Yasmina Khadra dans la préface de mon livre : « qu’il y a toujours la vie en face et que là où les armes ont chahuté les rêves, la main fraternelle est capable de reconstruire ce qui a été détruit. » Il n’y a pas de réconciliation possible, sans recherche commune de la vérité : C’est cette conversion de la mémoire, qu’évoquait Paul Ricœur, qui peut permettre un regard vers le futur.
Alors, pourra-t-on un jour écrire une histoire commune de cette guerre ? Cette question, on me l’a souvent posée et je me l’a suis évidemment posée. Pour tenter d’avoir une réponse, je me suis adressé à l’historien Benjamin Stora. Lui qui travaille pourtant avec des historiens algériens, pense que ce sera très difficile. Pour une simple raison : nous Français faisons remonter le début de la guerre au premier novembre 1954, alors que pour les Algériens, c’est 1830, le début de la colonisation.
Sans remonter si loin, Je ne vous apprendrai rien en vous disant que le divorce avec ceux que l’on appelait les Français musulmans est bien antérieur à 1954, et même au 8 mai 1945, qui évoque là-bas les massacres de Sétif. J’en ai pris conscience tout au long de mes voyages, dans des lieux précis de mémoire. Il suffit de lire la liste des noms de certains monuments aux morts de la guerre de 14-18…
Et l’on est surpris rétrospectivement de constater la cécité des politiques devant le fossé qui n’a cessé de se creuser, souterrainement, pendant les décennies suivantes.
Pour conclure, je voudrais évoquer un homme qui a marqué ma vie professionnelle et personnelle. Un dominicain, sur lequel j’ai coréalisé un film-documentaire pour France 2 « Le Jour du Seigneur ». Il s’appelait Pierre Claverie, c’était l’évêque d’Oran. Il a été assassiné le 1er août 1996. Près de quatre mois après les frères de Tibhirine. Ce pied-noir a découvert tardivement l’existence de l’autre, ce Français musulman qu’il côtoyait pourtant quotidiennement, mais dans l’indifférence de sa bulle coloniale. Cette reconnaissance, il l’a poussée jusqu’à partager la vie et les mêmes risques que les Algériens durant la décennie noire, qui a fait 200 000 morts. Pierre Claverie a écrit : « Le dialogue est un esprit par lequel l’autre me révèle une part de vérité qui me manque encore.»
Jean-Claude Escaffit  @avril 2015

Mémoire et vérité

Réflexion
(publiée par Ouest-France et Sud-Ouest + ITW dans Midi-Libre 19 mars)

Pour dépasser la guerre des mémoires.

Autant je comprends le refus de célébrer le 19 mars 1962 qui n’a pas marqué – loin de là –  la fin des violences  en Algérie, autant je m’interroge sur les motivations de tous ceux qui veulent, comme à Béziers,  rayer cette date de nos rues et monuments. Et de nos mémoires… Comment en finir avec l’ instrumentalisation de l’Histoire  qui fait perdurer  la guerre des mémoires ?  

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 Le 19 mars 1962 – qui commémore les accords d’Evian – n’a pas fini de cristalliser rancœurs et polémiques. Cette date anniversaire d’un cessez-le feu théorique est rejetée par tous ceux qui dénoncent – à juste raison – la poursuite exponentielle des violences en Algérie. Mais quelle date choisir pour  célébrer la fin de ce conflit qui a traumatisé des générations de Français ? Pas question de retenir non plus le 5 juillet 1962, marquant l’indépendance du pays en même temps que les massacres des pieds-noirs d’Oran et… l’anniversaire de la prise d’Alger en 1830. L’Histoire a parfois d’étranges concordances ! Par défaut, une « Journée nationale d’hommage aux morts pour la France en Algérie » a alors été choisie… le 5 décembre. Cette date hors sol, sans aucune signification historique, est bien l’illustration de la guerre des mémoires qui perdure chez nous. Et à fortiori de part et d’autre de la Méditerranée.
Le choix d’événements mémoriels est révélateur de notre vision de l’Histoire. A l’évidence, celle-ci est éclatée, pour ne pas dire schizophrénique. En France, on voit poindre une mémoire communautarisée où « chacun regarde l’histoire de l’Algérie, à travers son vécu, son appartenance familiale  », comme le souligne l’historien Benjamin Stora (1). En Algérie, c’est un unanimisme de façade qui fait perdurer un mythe fondateur et… le maintien du parti au pouvoir. Pas question de dévier des propos incantatoires sur le soulèvement spontané de tout un peuple autour du  FLN, de son drapeau, de ses martyrs et de ses héros.
Je me suis rendu souvent outre-Méditerranée, ces deux dernières années, pour mon livre, « Sur les traces du père – Questions à l’officier tué en Algérie ». La population a tourné la page de sa « guerre de Libération ». Pour les moins de cinquante ans, c’est 14-18. Et pour les plus âgés, la mémoire est en voie d’apaisement. Les pieds-noirs, « de retour au pays », peuvent témoigner de l’accueil chaleureux de la population. J’ai aussi assisté à d’émouvantes scènes de fraternisation entre combattants qui avaient été pourtant sur le même théâtre d’affrontement. Dans ma propre quête de vérité, j’ai bénéficié d’une étonnante chaîne de solidarité, d’amis et d’inconnus algériens. Ce qui nous a permis, à mon frère et moi, de nous rendre en Petite Kabylie sur les lieux – assez risqués aujourd’hui -où est tombé notre père, chef de poste SAS. Et de rencontrer, par un surprenant hasard, l’un des auteurs de l’attentat qui lui a couté la vie.
Entre les peuples et leurs dirigeants, le fossé reste grand. Englués dans des débats surannés ou doctrinaires, ballotés par des intérêts divergents et des lobbies influents, nos gouvernants respectifs n’ont cessé d’instrumentaliser l’Histoire. Au gré des commémorations et des récits, on a parfois l’impression de ne pas évoquer la même guerre, d’évoluer dans des décors différents. Même à l’intérieur de nos frontières. Il serait temps d’enterrer la hache de guerre du souvenir qui ne fait que raviver blessures et ressentiments.
A défaut d’une vision commune, ne peut-on aller vers une Histoire partagée ? Une manière de regarder ensemble nos responsabilités. Non pour renvoyer l’autre à ses torts et ses errements. Mais pour solder les comptes de nos propres histoires. C’est davantage possible aujourd’hui avec la génération montante des enfants. Et c’est en tout cas la condition nécessaire d’une mémoire apaisée. Car il n’est de devoir de mémoire, sans devoir de vérité.
(1) « Guerre d’Algérie, Mémoires parallèles », Le Monde hors-série de février-mars 2012.

Livre Couv et 4e

 ARGUMENTAIRE éditeur
Il n’est de devoir de mémoire sans devoir de vérité. C’est ce qui a guidé l’auteur dans ce récit émouvant. Jean-Claude Escaffit revisite de façon vivante toute la guerre d’Algérie, à partir d’une histoire personnelle. Il est parti sur les traces de son père, un officier SAS, tué pendant la guerre d’Algérie, il y a demi-siècle. L’auteur a fouillé les archives et a recueilli de nombreux témoignages des deux côtés de la Méditerranée. Il a également fait le voyage en famille dans une zone aujourd’hui contrôlée par les djihadistes. Et par un incroyable hasard il a rencontré l’un des meurtriers du capitaine Escaffit.
Lorsqu’il a entrepris ce récit, l’auteur ne savait pas ce qu’il allait trouver au bout du chemin. Un chemin bordé de larmes, de révélations bouleversantes, mais balisé par une étonnante chaîne algérienne de solidarité. A la veille du 60ème anniversaire d’un conflit resté traumatisant, ce récit fascinant veut être un message de réconciliation et de paix de part et d’autre de la Méditerranée.
L’AUTEUR Jean-Claude Escaffit a été journaliste à La Croix et à La Vie, et a régulièrement collaboré à diverses chaînes de télévision. Il a réalisé au Jour du Seigneur-France 2 un film documentaire sur Pierre Claverie, l’évêque d’Oran assassiné en 1996. Et a publié au Seuil « Histoire de Taizé ».
ISBN : 9782706 711 947 – 160 p. – 16 octobre 2014 – 18 €
Éditions Salvator 103, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
TEL 01 53 10 38 38 – www.editions-salvator.com
Contact presse Thomine Josseaume
 e-mail : tjosseaume@editions-salvator.com

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