La Provence 13 mars 2022.
Il est des mémoires qui saignent longtemps après le silence des armes. Cela fera soixante ans, le 18 mars, que les accords d’Evian ont été signés, mettant théoriquement fin aux combats sur le sol algérien. Et pourtant, la guerre mémorielle n’est toujours pas éteinte. Mémoire éclatée chez nous, mémoire confisquée en Algérie. A défaut d’avancer avec le régime actuel d’Alger, l’ambition du rapport Stora a été de réconcilier les mémoires antagonistes de sept millions de Français concernés (soldats appelés, pieds-noirs, harkis, enfants d’immigrés…). Les préconisations du rapport remis en janvier 2021au président de la République, prennent en compte – c’est nouveau – la diversité des blessures. Il n’y a pas de bon ou mauvais côté de la souffrance. Et il n’est de devoir de mémoire sans devoir de vérité.
Ainsi depuis un an, une quinzaine de propositions ont été mises en œuvre par le président français : reconnaissance de la torture et de l’assassinat par l’armée française de l’avocat Boumendjel, création d’une commission Mémoire et vérité et d’un musée France-Algérie à Montpellier, accès simplifié aux archives de l’armée, érection (perturbée) à Amboise d’une statue d’Abdelkader, héros de la résistance algérienne et défenseur des minorités chrétiennes en Orient.
A l'automne 2021, c'est la demande de pardon envers les harkis pour les avoir abandonnés après-guerre, la reconnaissance du massacre de manifestants algériens par la police française, en octobre 1961 à Paris. Gestes forts qui se poursuivent par la reconnaissance, en janvier dernier, de la souffrance de près d'un million de rapatriés...
Mesurettes démagogiques tous azimuts, railleront certains. Travail pédagogique incessant vers une Histoire partagée, rétorque l'auteur du rapport. Cette politique des petits pas et de passerelles entre des mémoires fragmentées a aussi ses limites. Comment construire un récit commun avec des anniversaires consensuels ? Le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu en Algérie ? Pas évident de célébrer l'anniversaire d'un événement qui est loin d’avoir marqué l’arrêt des violences. Le choix d’événements mémoriels est révélateur de notre rapport à l’Histoire et de notre volonté d'envisager un destin commun. Un sacré défi. Car c'est bien connu, les blessures, les rancœurs et les humiliations tapies dans les mémoires font le lit des régimes autoritaires, avec leur cortège de menaces vengeresses. [/su_spoiler